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Nirmala Devasenaradjounayagar

 

Je m'appelle Nirmala Devasenaradjounayagar, fille de Dévasénaradjounâyagar, fils de Varadaradjalounayagar; j'ai quarante ans et je vis en Martinique depuis 1993, dans la commune du Lamentin, dans le centre de l'île. Je suis enseignante en Arts appliqués, éducation esthétique dans les lycées professionnels de l'île.

J'ai fait mes études à l'École Nationale Supérieure des Beaux Arts de Bourges, dans le Cher, dans le centre de la France; j'y ai obtenu mon diplôme et me suis ensuite rapprochée du soleil. C'est en Martinique que mon travail pictural s'est réellement développé! Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est sur l'île que je me suis "rencontrée", grâce à la communauté indienne d'ici et en m'y intéressant. Ce qui m'a conduite tout naturellement à mes créations.

Nirmala

Entrevue du 2004

Liliane Mangatal - Nirmala, je viens de parcourir ton exposition intitulée «Cheminements», l’impression générale qui en ressort, ainsi que ton prénom, évoquent une inspiration indienne...

Nirmala Devasenaradjounayagar - En effet, je m’appelle Nirmala Devasenaradjounayagar.

Ton nom est vraiment très long...

C’est un nom indien, celui de mon père: mon patronyme.

Je relève tout autour de ta peinture, de tes mandalas très minutieusement calligraphiés, des textes chargés de poésie qui te disent et te révèlent autant que tes tableaux...

Tapie dans l’écrin de mon âme
La réminiscence d’un autre ailleurs
Si loin de moi et si proche aussi
J’entends mes Pères me souffler
Des choses d’un autre temps

Pour moi, ils ne sont pas extérieurs à eux mais en font partie, au même titre que les couleurs, ou les formes. Rien n’est fortuit: dès le départ, en préparant le fond, pour lequel je choisis toujours des couleurs chaudes, le jaune, la terre de sienne, l’ocre, le rouge, l’orange, j’installe mes graphismes en blanc doré ou en noir. Ce sont des arabesques, des courbes, des ronds… Et pour finir, je place les mots ou les phrases qui viennent du fond de moi, du domaine du sentiment, du ressenti, des émotions: je traduis, d’ailleurs très prosaïquement, ce que je ressens quand j’écris. J’entends les voix de mon père me parler d’un autre ailleurs…

Je me donne le temps de terminer mon travail. Cette recherche d’harmonie me permet de rejoindre mon moi profond, et m’amène à cet état d’apaisement et de calme que je recherche toujours, cet appel presque palpable de l’Inde toujours présente.

Nirmala

Peut-être, veux-tu en peignant, faire remonter tes origines indiennes?

Cela n’a jamais été délibéré. Dès mon passage à l’Ecole des Beaux-Arts, les professeurs me faisaient remarquer, mon style différent, ma tendance à reproduire des petits motifs ornementaux se rattachant à des formes courbes, des Etudes sur le lotus... Autre réminiscence inexpliquée, des dessins rappelant les madras par exemple, tendance qui me vient de cet ailleurs, parce qu’elle n’a pu être influencée par mon environnement.

Je n’ai pas vécu aux Antilles et mes souvenirs indiens datent de ma petite enfance et je ne savais pas que je reproduisais des kolams, ces motifs décoratifs que les femmes exécutent chaque matin devant le seuil de leurs maisons, en l’honneur de la déesse Lakshmi, invitée ainsi à apporter chance et prospérité dans la demeure de la famille. C’est aussi un signe de bienvenue aux visiteurs.

Dans mes travaux, d’autres m’ont fait reconnaître des mandalas, je ne connaissais pas leur existence. Alors j’ai cherché et établi une espèce de lexique de ces formes qui me hantent... et qui se trouvent préétablis dans ma mémoire.

Espoir de toujours garder tout au fond de moi
Cette douceur de l’âme, richesse inestimable
Apparat discret qui me rend forte
Face au monde

Un autre terme que je trouve adapté à ma démarche est le mot cheminement, qui traduit cette recherche d’harmonie qui donne l’apaisement, et qui peut-être me restitue l’Inde vivante en moi.

Ton apparence métisse et ton nom signalent qu’un de tes parents serait issu de l’immigration indienne du XIXe siècle.

Je suis en effet une métisse indienne mais mon père militaire de carrière a été en garnison en Guadeloupe où il a connu ma mère, il y a un peu plus de trente ans. Donc mon apport indien est plus récent, mais j’ai vécu en France et cet apport n’a été ni valorisé, ni vivifié par mon père. Il ne nous parlait jamais de la vie en Inde.

En s’engageant très jeune dans l’armée française, il avait choisi de s’éloigner de sa famille, il s’était coupé de ses racines. Après son mariage en Guadeloupe il nous a emmené ma mère et moi en Inde, où nous avons reçu un accueil courtois.

Mon père avait perdu sa mère dès l’âge de cinq ans et son père s’était remarié, quand il est revenu avec nous, ses frères aînés étaient installés dans leur vie familiale et professionnelle, dans ces conditions les contacts par le biais de l’anglais ne pouvaient être que difficiles.

Nirmala

Nous sommes tout de même retournés à chacune des périodes de congé de mon père, je n’en garde que très peu de souvenirs car au dernier séjour, je n’avais que six ans.

Après ce dernier séjour en Inde, nous sommes venus cinq ans après nous installer en Guadeloupe: mon père, au contraire de ma mère, se sent de plus en plus étranger et mal à l’aise, mais il ne veut pas que nous devenions étrangers à notre milieu de vie, et accepte que ma mère nous élève dans la religion catholique, lui qui ne pratiquait aucune religion. Il est hindou, mais je ne l’ai jamais vu pratiquer de rituel. Il ne nous parlait pas de ses parents ou de sa vie en Inde, mais je sais qu’il a eu une vie matérielle aisée, ses frères ont fait des études et ont de situations bien établies, un de ses frères Selvaradjou était dermatologue à Pondichéry, maintenant il est à la retraite. Un autre Djeraman professeur de maths, aussi en retraite, mais installé en France, le troisième Sivasubramanian décédé enseignait les arts plastiques.

Ce sont leurs prénoms?

Il s’agit de leurs noms. Chacun reçoit un nom complètement différent de celui du père ou des frères, anthroponyme, choisi par l’astrologue et qui a une signification profonde.

Garde-t-on un radical commun?

Pas du tout. Dans sa famille, c’est seulement dans le nom de mon père Devasenaradjounayagar que l’on retrouve une terminaison semblable à celle de mon grand-père qui lui s’appelait Varadadjalounayagar. Chaque individu possède un nom qui lui est personnel. Mon père m’a transmis le sien puisque nous vivions selon les coutumes françaises.

A-t-il eu des sœurs?

Oui, mais je ne sais rien d’elles, elles ont été mariées et vivaient ailleurs.

Nirmala, dis-moi pourquoi as-tu choisi de vivre en Martinique, puisque tes parents maternels sont guadeloupéens?

J’avais commencé mes Études dans une Ecole des Beaux-Arts au centre de la France, et à un certain moment j’ai choisi de revenir vivre aux Antilles mais je ne pouvais m’inscrire qu’en Martinique. Donc, j’ai choisi d’y vivre par hasard, je m’y suis trouvée bien et je m’y suis installée depuis quelques années déjà.

Je suis contente de vivre en Martinique, de continuer mon travail de plasticienne dans cet environnement.

Mon père est récemment décédé, mes frères et ma soeur vivent en France. Mon rêve serait de pouvoir me ressourcer en Inde quelquefois pour me rapprocher de cette «clameur venue d’ailleurs» qui m’aspire.

Nirmala Devasenaradjounayagar - deva: dieu; sena: armée; radjou: chef - est la fille de Devasenaradjounayagar, fils de Varadaradjalounayagar.

Clameur qui vient de cet ailleurs
Délices de promesses rêvées
Compassion ressentie au fond de l’ennui
Douleur qui monte de mon cœur
Eaux qui s’écoule de mes blessures
Finesse qui manque à mon âme
Béatitude à l’entour du bonheur
Enivrement au nectar de la vie
Nirvana allant après mille vies


Ce n’est pas seulement dans notre apparence physique, que nous révélons nos origines. Nous transportons dans nos gênes l’héritage précieux de nos ancêtres, que ce soit par des traits de caractère, des tendances innées, des attirances ou des répulsions inexpliquées, des désirs incongrus, celui de se percer le nez ou de s’isoler pour se mettre en méditation alors que ce n’est pas une pratique familiale...

Quelquefois, comme Nirmala, nous découvrons en nous, des savoir-faire qui nous sont propres et dont nous ne pouvons expliquer l’origine, si nous n’acceptons pas l’idée de cet héritage lointain et presque effacé de la mémoire...La civilisation indienne tellement riche et différente vient rappeler subrepticement à ses fils et ses filles éparpillés si loin d’elle qu’ils sont encore reliés à elle par les liens subtils de la génétique... Ces manifestations, si infimes et peu reconnues qu’elles puissent être, sont la contribution de la grande civilisation indienne à la constitution de cette nouvelle civilisation caribéenne, portés par ces Immigrés indiens du XIXe siècle.

Nul n’est si misérable qu’il n’ait son étoile
Et s’il est malheureux, c’est qu’il ne la connaît pas
Chercher son étoile, l’attraper, ne jamais la perdre de vue
Tout près de son cœur, pour une âme plus belle
Chercher sous les larmes, derrière les mensonges
Pas très loin du chagrin
Tout près du deuil, voisin de la solitude
Pas dans un pays lointain, pas au fond de l’eau
Pas derrière les montagnes, pas au-delà du ciel,
Tout au fond de soi.

- Nirmala.

 Nirmala

 

Sur Potomitan:

"Mots à Liliane"… Poèmes écrits pendant les mouvements sociaux de février 2009.

 

 Viré monté