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«Pawol Kreyol»

Le documentaire d’Antoine LEONARD-MAESTRATI
«L’Avenir est Ailleurs» (2006)

Co-écrit par Michel REINETTE:
Le BU.MI.DOM en croisements de vies

par Véronique LAROSE

BU.MI.DOM

Le 22 septembre 2006, Antoine LEONARD-MAESTRATI et Jacques ATLAN présentaient en avant-première, ce documentaire, avec le soutien de la municipalité de Levallois-Perret (92). Une thématique: le BU.MI.DOM (BUreau des MIgrations de l'Outre-Mer). Antoine LEONARD-MAESTRATI et Michel REINETTE ont ainsi choisi de donner une voix à cet épisode migratoire douloureux: la voix authentique de vécus croisés, reconstitués. Le débat qui a suivi la projection a permis de créer une éloquente interaction entre Antoine MAESTRATI et le public, touché par ce sujet mémoriel et intergénérationnel. Une force émotionnelle déclinée en témoignages mêlés.

Le BU.MI.DOM (BUreau des MIgrations de l'Outre-Mer): crée à Paris en 1963, cet organisme affichait une vocation sociale en faveur des ressortissants d'Outre-mer. Pour combler des besoins de main-d'œuvre en Métropole, des milliers d'Antillais, Guyanais et Réunionnais occupèrent des postes «réservés» pour eux, essentiellement dans les services de la Poste, des hôpitaux et des transports, au bas de l’échelle. «Un aller-simple» qui annonçait alors bien des désillusions…

Des scènes reconstituées: le documentaire s’ouvre sur la veillée funèbre d’une dénommée Rosette revenue au péyi dans un sobre cercueil. La lucidité aigre des veilleurs leur dicte ce constat: «bimidom tié an lo moun», ceux qui n’ont pas su et pas pu refuser «le petit aller-simple»…Ce documentaire tente une reconstitution des jeunes en partance pour la France, dans les années 1960.

Des scènes touchantes: la terre du pays donnée par une main maternelle «pou pwotéjé-w» - les formalités administratives et médicales expédiées – les adieux poignants au port, foulards agités - sur le bateau, trois classes bien compartimentées pour l’accès au confort et aux loisirs. Les départs étaient organisés en août depuis les Antilles. Arrivés au Havre, les Antillais BU.MI.DOMiens occupaient un train «réservé» en destination de la Gare Saint-Lazare où ils étaient attendus par leurs familles antillaises installées en Métropole.

Les motivations du projet: Antoine LEONARD-MAESTRATI confie sa volonté de «raconter l’aventure humaine des Antillais venus avec un aller-simple», «même si ce film dérange…». Avant tout, un documentaire au service d’un phénomène qui a bouleversé des chemins de vies: «une histoire d’hommes portée à ma connaissance et je trouve ça scandaleux qu’elle ne soit pas reconnue» - «le BU.MI.DOM est une décision politique qui a provoqué une migration en masse». Il avoue, également, dans un sourire, une certaine solidarité d’insularité: «je me sens très proche des Antillais en tant qu’insulaire». Il revendique donc un choix  pour ce sujet qui relève de la «responsabilité politique» de la France. Antoine MAESTRATI concède n’avoir pas craint de soulever un sujet souvent tu: «dans ce film il n’y a aucune prudence». Plus largement, il voit dans ce déracinement une thématique universelle: «c’est le problème de toutes les migrations».

Des narrations intimistes: Antoine LEONARD-MAESTRATI a conçu une démarche respectueuse des pudeurs. Lever la trappe d’une mémoire est délicat. Il a approché ces BU.MI.DOMiens-témoins en prenant toujours soin de ne pas brusquer la parole par un entretien brut de journaliste. Non, il a préféré laisser les mots se délier dans le cadre de dialogues entre hommes et femmes, unis contre les déveines de la vie: des couples, des repas de familles, des amis, des groupes de jeunes, des après-midi dominos, etc.

Mots-échos de BU.MI.DOMiens: pour ce documentaire, Antoine MAESTRATI et Michel REINETTE ont mené des investigations de terrain pour collecter des témoignages. Ils sont allés à la rencontre de «BU.MI.DOMiens» retournés aux Antilles et du réseau associatif d’Ile-de-France, à Sarcelles par exemple. Des femmes et des hommes choisis «pour la couleur et la profondeur de leur propos». Ces témoignages contextualisent ce phénomène du BU.MI.DOM : une crise socio-économique dans les DOM avec la crise de la canne.

  • Paroles de BU.MI.DOMiens: la France représentait alors «un Eldorado», «un pays en or». L’envers du décor? des jeunes qui ne sont pas parvenus à accepter leur nouvelle réalité métropolitaine: «des gens n’ont plus donner de nouvelles, des femmes ont mal fini avec des histoire de trottoir…» - «le problème, c’était le logement» - «une étiquette dans le dos: tu es un Nègre». L’unanimité vécue: «la solidarité des Antillais». Cependant, le retour au péyi des Retraités n’est pas évident: ils ont le sentiment qu’ils ne sont pas totalement acceptés, qu’on ne les traite «pas pareil».

L’importance du réseau associatif: arrivés en Métropole, les BU.MI.DOMiens ont très vite ressenti le besoin de se constituer en associations, pour se retrouver. Une façon de tracer un trait d’union entre «Ici» et «Là-bas». Avec un vecteur de chaleur: le créole (cf. l’étude de M. Tony MANGO, sur le créole dans l’Hexagone – nov. 2005; il préside l’association ERITAJ’, à Créteil). Aussi, l’Aumônerie Antilles-Guyane a constitué un lieu de parole et de ressource. De 1977 à 1998, le Père LACROIX s’est investi dans un devoir qu’il justifie dans le documentaire: valoriser les Antillais qui arrivaient en Métropole, en leur enseignant leur histoire et patrimoine. «Blanc-Pays» né en Guadeloupe, le Père LACROIX réside désormais à Marie-Galante.

Deux responsables associatifs témoignent dans ce documentaire :

  • Mme. Lydia JEAN, présidente de l’association BITASYON-LYANNAJ-KREYOL (Villiers-le-Bel), estime avoir trouvé son équilibre: «j’ai posé ma valise, je suis bien dans ce que je fais», évoquant ses allers-retours, ses implications associatives et picturales. Pendant le débat, elle exprime son espoir pour le créole dans l’Hexagone: «nos enfants doivent reprendre le flambeau du créole». Une ambition pour le créole au Bac, avec la pétition portée par Tony MANGO.
     
  • M. Jean-Pierre PASSE-COUTRIN, président de l’association CROMVO ( Comité de Réflexion des Originaires d’Outre-mer du Val d’Oise), précise lors du débat: «aujourd’hui, nous avons un devoir: faire découvrir à nous-mêmes et aux autres notre histoire».

Les enfants de BU.MI.DOMiens: ils ont pour quotidien une reconstruction et une reconstitution identitaires particulières, en tant qu’enfants nés et grandis «Ici». L’un des jeunes déclare: «la France c’est mon décor, je me sens plus libre en France». Une récurrence: la difficulté de «sentir sa place» («des deux côtés tu te sens rejeté»), la frustration («on me rappelle toujours mon ailleurs…»). Un appellatif réfuté avec véhémence: le statut de «négropolitain». Durant le documentaire, ces jeunes se sont appropriés leur créole via un support d’expression directe: le Dancehall. La fresque taguée du final évoque – en couleurs et en créole – le déchirement des jeunes entre «Ici» et «Là-bas»: «mi mwen kon mwen yé»

La position affirmée de personnalités engagées: Aimé CESAIRE, Daniel BOUKMAN, Lilian THURAM, Henry BANGOU, le Docteur ALIKER entre autres, interviennent avec un parler franc. Une lucidité qui secoue l’oubli:

  • l’écrivain Aimé CESAIRE: Martiniquais, il porte en lui une voix politique et poétique militantes. Avec son ami sénégalais Léopold Sédar Senghor, il a fondé le concept de la Négritude au rayonnement francophone dense. Aimé CESAIRE  souligne que le BU.MI.DOM a légalisé une «exploitation» et «une substitution», deux flux migratoires aux réalités bien distinctes à l’arrivée: «les places des Martiniquais ne sont pas restées vides…», vitement comblées par des Métropolitains nommés. Aimé CESAIRE s’insurge contre le préjugé colonial du «sauvage» venu d’ailleurs et il réplique un cinglant: «et bien le sauvage t’emm…»
     
  • l’écrivain Daniel BOUKMAN définit le BU.MI.DOM comme une migration qui a servi à «transplanter» des jeunes Ressortissants d’Outre mer. Avec l'association «KALBAS LÒ LAKARAYIB», désormais basée en Martinique, Daniel BOUKMAN organise un concours annuel de poésie en langue créole des pays de la Caraïbe et de l'Océan indien - le résultat et la remise des trophées réalisés par un plasticien martiniquais se dérouleront en Martinique, le 28 octobre 2006, dans le cadre de la JOURNEE INTERNATIONALE DU CREOLE.
     
  • le footballeur Lilian THURAM s’auto-définit en «Français noir»: «je suis un Français noir». Il observe une revendication mémorielle chez les Antillais: «on veut la vérité, et c’est peut-être ça qui dérange…»

Les espoirs de ce projet: le sujet – difficile – annonce une distribution…difficile. Jacques ATLAN (CINEMA PUBLIC FILMS), producteur du film, compte sur «un bouche à oreille puissant pour ce film singulier». Un espoir tenace: la sortie en salles de ce film, d’ici la fin 2006, pour une diffusion hexagonale de «2-3 salles en Ile-de-France, 1 salle à Paris et 4-5 salles en province». Durant le débat, une solution de financement solidaire a été soulevée par le public. Déterminé, Antoine MAESTRATI refuse catégoriquement cet auto-financement: «pour que les Antillais parlent, ils n’ont pas à payer!»

Ce documentaire délie des bribes de mémoire. Il révèle un déracinement aux multiples éclats sur la personne - déracinement géographique, social, identitaire, statutaire, structurel. Voici un documentaire à faire surgir pour cette thématique qui appartient – pleinement - au débat d’Histoire et de Mémoire pour la France d’aujourd’hui.

Le documentaire «L’Avenir est Ailleurs» (2006)
Titre original: «Premiers voyages pour l’autre bord»
Réalisé par Antoine LEONARD-MAESTR
TI - Co-écrit par Michel REINETTE
Musique originale Fred DEHAYES
Produit par Jacques ATLAN – CINEMA PUBLIC FILMS et DORIANE FILMS Gérard Poitou-Weber

Contacts : Cinéma Public Films, 84 rue du Pdt Wilson 92300 Levallois-Perret, Tél. 01 41 27 01 44 - Fax 01 42 70 06 65, Email, site web.

éléphant

Pour aller plus loin…

Je vous soumets cette petite sélection de mots qui (d)écrivent le BU.MI.DOM :

  • le journaliste et écrivain Tony DELSHAM (Martinique): dans son roman «Xavier, le Drame d'un Emigré Antillais»  (1981- éd. MGG), il donne la parole à un jeune Martiniquais des années 1960, Xavier NOGARTIN. Une chronique sociale: Xavier vit une crise sociale et familiale, soumis aux coups d’un beau-père violent. En errance – il a été contraint de quitter l’école – il vagabonde... Son espoir: partir pour Paris, mais en refusant l'aide douteuse du BU.MI.DOM.

Extrait: «des histoires peu flatteuses se propageaient et on disait que ceux qui acceptaient l'aide de cet organisme se retrouvaient soit dans la prostitution, soit occupant les emplois subalternes et délaissés par les Français».

  • la journaliste, auteure et réalisatrice Fabienne KANOR (d’origine martiniqauise, née en France: dans son premier roman «d’Eaux douces» (2004 – coll. Continents noirs, éd. GALLIMARD – PRIX FETKANN ! 2004), Fabienne KANOR nous entraîne dans les interrogations et frustrations d’une jeune femme, Frida, née et grandie «ici», de parents BU.MI.DOMiens.

Extrait: «Se faire muter, être muté, décrocher sa mutation […] le rêve organisé de toute une diaspora.»- «Nous [le père et la mère] avons fait comme tout le monde, un peu mieux peut-être. Une maison en dur, des enfants à l’école, un travail à plein temps… C’est tout ce que nous avons obtenu, ni plus ni moins »

  • l’essayiste, historienne et enseignante Françoise VERGỀS (la Réunion) : dans son essai «la Mémoire enchaînée» (2005 – éd. ALBIN MICHEL), elle se propose de mieux mesurer les réalités inégalitaires  vécues par les Ressortissants d’Outre mer via le prisme du BU.MI.DOM.

Extraits: «la diaspora ultramarine […] constituée à partir des années 1960 et organisée par le BUMIDOM - cette diaspora connaît des difficultés. Les discriminations raciales qu’ils subissent […] leur font comprendre qu’être citoyen français n’est pas une garantie contre le racisme» (p. 92) - «l’amertume et la colère des ultramarins de France hexagonale s’expliquent encore mieux lorsque l’on compare leurs difficultés avec les facilités d’installation des « métropolitains» dans les DOM» (p. 193).

  • la sociologue Marie-Christine MAGNAVAL: dans son essai «Les Postiers déracinés - Provinciaux, Antillais…  des racines et des lettres» (2004 - éd. L’Harmattan), Marie-Christine  MAGNAVAL écoute c es travailleurs de l’ombre : de jour et de nuit, ces postiers traitent, en coulisse nos correspondances les plus administratives et les plus affectives. Cet ouvrage est le fruit d’un travail de terrain à l’écoute d’employés inscrits dans le vécu de leur Exil.
     
  • La revue «Migrations-Santé» a publié à plusieurs reprises des travaux de Jean GALAP, notamment dans le numéro spécial qu'il a dirigé: «Guadeloupéens, Martiniquais et Antillais de France» (n°115-116, 2003). Référez-vous au site de l’association. Cette association dispose d’un fond documentaire accessible sur rendez-vous. Vous pouvez aussi consulter le n° spécial de la revue «Psychologie clinique» n°15, intitulé «Anthropologie et cliniques: recherches antillaises» (L’Harmattan - 2003), numéro co-dirigé par Jean GALAP et Olivier DOUVILLE. L’article de Jean GALAP «Culture, migration et psychologie de l’adaptation en milieu antillais» intéresse tous ceux qui travaillent sur les dysfonctions de l'adaptation.

Véronique LAROSE – le 25 septembre 2006

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Infrarouge : BUMIDOM Des Français Venus D'Outre-Mer [17/11/2011 - France 2, Vidéo]


Pawol Kreyol

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