Articles & débats
 
Les membres du GEREC-F sont des dictateurs!
 

Robert NAZAIRE

(IUFM-MARTINIQUE)

octobre 2002
 
Il s'est tenu, la semaine dernière, un congrès d'études créoles à la Réunion, sous la direction du professeur Robert Chaudenson, colloque auquel a participé Robert Nazaire, instituteur détaché à l'IUFM de la Martinique pour l'enseignement des Langues et Cultures Créoles. L'un des deux quotidiens de la Réunion, «Le Journal de l'Ile», a organisé, le 28 octobre, dans ses locaux un débat très intéressant entre R. Nazaire, élève de Lambert-Félix Prudent, et le célèbre Mickaël Crochet, président du «Mouvement de défense de l'Identité Réunionnaise» et ardent défenseur du créole réunionnais depuis 20 ans.
 
Mickaël Crochet est proche du Gerec. F (Groupe d’études et de recherches en espace créole francophone). Ce regroupement de Martiniquais avait dénoncé la partialité du jury du premier Capes de créole par l’intermédiaire de courriers électroniques signés par un Comité de vigilance du CAPES créole (CVCC) dont le JIR avait relevé la virulence.
Robert Nazaire est très imprégné du travail réalisé par Lambert Félix Prudent à l’IUFM de la Martinique. Ce dernier enseigne aujourd’hui la sociolinguistique à l’université de la Réunion. Il prépare les étudiants au Capes de créole.
Journal de l'Ile:
L'une des priorités du Ministre de l'Education, Luc Ferry, est la lutte contre l'illétrisme. Les derniers chiffres montrent que 20 à 35% des élèves arrivant en classe de sixième ont des difficultés. Dans ce contexte, le créole a-t-il sa place à l'école?

R. Nazaire:
Je pense que le créole a sa place à l’école. C’est normal, c’est comme si on disait qu’on coupait un bras à quelqu’un. La question, c’est comment faire pour mettre en place un enseignement de la langue et de la culture régionale et à quelle dose ? Nous sommes dans un système éducatif français où on a le choix entre des langues vivantes et régionales. Je comprends parfaitement aujourd'hui un parent martiniquais ou réunionnais qui choisirait le français plutôt que le créole. Je ferais pareil.

M. Crochet:
Déjà, je ne vais pas dire le créole à l’école, mais la langue et la culture réunionnaise à l’école. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes dans un pays éminemment jacobin et centralisateur. La France est le seul État européen a n’avoir pas intégré dans sa constitution des éléments concernant les langues et cultures régionales. Autant, la “francité” est obligatoire, autant la “réunionité” reste facultative. Il est là, le problème.
Pour revenir à la question, aujourd’hui à la Réunion, le taux d’analphabétisme atteint 21%. C’est le chiffre donné par l’INSEE. Je rappelle que pour la France, c’est 8%. Ce taux est extrêmement inquiétant. Or, on constate une aggravation de ce taux à la Réunion. Quand on regarde de plus près, on constate que la moitié des illettrés n’ont pas pour langue maternelle le français. En parallèle, 80% des enfants sont créolophones.

Journal de l'Ile:
Quelle est la situation à la Martinique?

R. Nazaire:
De toute façon, on n’apprend pas une langue sans apprendre sa culture. Ce sont les sociétés qui créent les langues et non pas les langues qui créent les sociétés. Cela, c’est un point. Introduire le créole à l’école ? Il y est déjà. Le prendre en compte, c’est autre chose. Les enfants le parlaient déjà dans la cour de récréation ou avec certains maîtres qui étaient déjà des pionniers à la Martinique.
Aujourd’hui, on ne peut pas dire que l’on a des créolophones. Quand les élèves arrivent à l’école, les enseignants ont déjà mis en place des stratégies pour leur dire qu’à l’école on doit apprendre la langue française.
Je suis pour dire que l’outil de l’identité martiniquaise, c’est le créole, le français, mais aussi l’anglais et l’espagnol car nous sommes dans un bassin caraïbéen. Nous avons des populations différentes et on ne peut pas dire que le créole est la langue maternelle du Martiniquais. Par contre, ce qui m’interpelle beaucoup, c’est de prendre un enfant tel qu’il arrive à l’école. Très souvent, il ne parle ni créole, ni français. Mon devoir, c’est de l’amener à parler français car, qu’on le veuille ou non, le français est la langue de la réussite. Mais c’est une richesse d’utiliser la langue créole. Ne nous enfermons pas dans une langue. Utilisons le créole pour développer les compétences langagières chez l’enfant.

M. Crochet:
J'ai l'impression de retrouver dans votre bouche les arguments les plus rétrogrades qu'on nous a servis à, nous, militants, venant de certains responsables du rectorat. Je note une contradiction dans ce que vous dîtes. Premièrement, il n'y a plus de créolophones unilingues. Deuxièmement, et là vous êtes en contradiction avec vous-mêmes, puisque vous nous dîtes en même temps que les enfants ne parlent ni le français ni le créole! Cette conception est contraire au principe d'égalité des langues et des cultures. Comment peut-on accepter qu'une langue puisse servir d'outil à l'usage d'une autre langue? Nous rejetons cette approche car celle-ci instaure une hiérarchie entre les langues. Acceptez-vous l'idée d'une hiérarchie entre les cultures? Moi, non!

R. Nazaire:
De toute façon, la hiérarchie des langues s’impose à nous. Je ne rêve pas. Le militantisme, je l’ai déposé à la porte. Moi, je crois à la réussite sociale et à la réussite des élèves. Ce que veulent tous les parents, c’est la réussite de leurs enfants. Les langues sont des moyens d’avancer dans le monde. J’ai dressé un tableau de la situation sociolinguistique martiniquaise qui me semble être le plus réaliste. Les Martiniquais feront ce qu’ils veulent de leur créole.

M. Crochet:
M. Nazaire, êtes-vous Martiniquais?

R. Nazaire: Je ne répondrai pas à cette question, parce que là vous m'insultez. Si c'est pour avoir une guerre, j'arrête… Seriez-vous d'accord que je vous demande si vous êtes Réunionnais?

M. Crochet:
Je vous répondrai oui!

R. Nazaire:
Poser la question, c’est complètement inutile. Juste pour situer le débat, je suis Antillo-Guyanais, j’appartiens à un monde qui est le monde caraïbe. Je suis un Martiniquais dans un environnement caraïbéen. C’est ça la richesse : on se retrouve autour d’éléments communs. J’ai très peur des dictateurs, des gens qui sont dogmatiques. Je ne veux pas dire aux Martiniquais ce qu’ils doivent faire.

Journal de l'Ile: Vous avez dressé un tableau des situations dans les deux zones. Comment est-il possible d’intégrer l’apprentissage du français dans les différentes îles?

M. Crochet:
Concernant l’apprentissage du français, nous défendons le double droit à la langue. Pourquoi, dans un pays où il y a autant de créolophones, il n’y a pas une méthode de français spécifique? Nous avons demandé la généralisation de la méthode français langue étrangère (FLE) car, à la Réunion, le créole est la langue maternelle et le français une langue seconde. Le ministère nous a envoyé une réponse négative.

R. Nazaire:
Pour moi, la culture créole, martiniquaise, utilise deux véhicules: le créole et le français. Avant de venir ici, j’ai visité une école. J’ai parlé créole et les enfants m’ont répondu en français. On se trouve devant plusieurs cas aujourd’hui à la Martinique: les enfants qui parlent créole mais n’osent pas le dire, ceux qui ne parlent pas mais qui comprennent ce qu’on dit et les enfants pour qui le créole est étranger; je pense aux petits métropolitains. En permettant à tous les enfants qui vont à l’école d’utiliser le créole, c’est le seul moyen que l’on a de propager aussi bien notre culture qu’une certaine identité créole qui est multiforme. Mais il n’y a pas une identité que l’on devrait imposer à tout le monde.
Je ne crois pas que l’on soit dans un processus de français langue seconde, on n’est pas non plus dans un processus de français langue étrangère. L’enfant est très tôt baigné dans les deux langues car les mères utilisent les deux selon les situations. Par contre, il intériorise très vite les valeurs sociales. Quand on est petit, on ne répond pas à ses parents en créole parce que cela fait mal élevé. Il faut arrêter cela, car cela pose un problème en arrivant à l’école. Le premier combat est là, dans le milieu familial.

M. Crochet:
A la Réunion, 80% des parents s’adressent à leurs enfants en créole. Deuxième remarque, vous parliez d’ouverture sur le monde. Il ne pourra pas y en avoir sans prise en compte à tous les niveaux du cursus éducatif de l’identité de l’enfant de ses valeurs. L’enfermement, nous y sommes. Le rejet du français par les élèves tel qu’il apparaît aujourd’hui dans certains établissements, c’est un message clair qui est donné aux adultes: vous ne me reconnaissez pas tel que je suis alors je vais rejeter ce que vous voulez me transmettre.
La voie qui doit être la nôtre, c’est le bilinguisme. Mais il faut être d’accord sur le terme de bilinguisme. Il ne faut pas qu’on s’oriente vers quelque chose qui serait l’apprentissage du français en milieu créolophone.
Il peut y avoir une méthode spécifique du français, mais il faut un véritable programme bilingue adapté aux réalités locales. Or, il n’y a pas à la Réunion un expert du bilinguisme. Nous l’avions demandé au conseil académique pour accompagner la mise en place des premières sections bilingues. Notre proposition n’a pas été accueillie favorablement.

Journal de l'Ile: Comment se déroule la formation des enseignants dans les Instituts de formation des maîtres?

R. Nazaire:
Je suis arrivé cette année pour la première fois à l’IUFM à faire en sorte qu’aucun professeur des écoles stagiaire ne sorte de l’institut sans avoir un minimum de connaissances sur la situation sociolinguistique martiniquaise. C’est impensable qu’en 2002, un stagiaire n’ait pas cette culture. Les options ne sont pas obligatoires, il y a eu un travail en amont.

M. Crochet: Au fur et à mesure que l’on avance, je vous sens vous rapprocher de mes positions et vous êtes en train de devenir un militant. Sur la question de l’IUFM de la Réunion, depuis octobre 1997 jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas eu de module obligatoire, il n’y a qu’une option facultative.
Si l’on tient compte des expériences qui ont été menées, il n’y a pas d’autres possibilités que d’intégrer d’office l’enseignement de langue et de la culture régionale. Cette question sociolinguistique, c’est un choix de société pour moi. L’identité réunionnaise étant, comme celle de la Martinique, un sous-ensemble de cette créolité émergente.

Journal de l'Ile:
Le monde créole n'est pourtant pas si unifié que cela. La première session du CAPES d'option créole qui a eu lieu en juillet dernier a été enrichi d'une polémique…

R. Nazaire:
Je suis le coordonnateur du CAPES depuis deux ans à la Martinique. Je vais être très clair: je vois mal les étudiants ayant réussi au concours venir à la Réunion. Je ne dis pas que ce ne sera pas possible. Mais ils auront du mal à enseigner car la langue est différente. On enseigne bien que ce que l'on connaît bien. Il faut des gens compétents, pas des dictateurs. Qui a proposé le CAPES?

M. Crochet:
Qui a imposé? Si je comprends bien, les enseignants du GEREC ont instrumentalisé le Ministère?

R. Nazaire:
On n’était pas prêts. Cela ne s’est pas fait dans une réflexion. Vous savez bien que cela a été fait dans une politique électorale, parce qu’il y avait les élections qui venaient et c’est ça qui était important pour eux, pouvoir dire: on va regrouper les DOM en copiant sur le Capes de langue régionale.
Qui a déjà fait une dissertation en créole, M. Crochet ? Et comment vous pouvez demander à un étudiant de faire une dissertation qu’aucun professeur n’a déjà réalisée ? Demandons à nos jeunes des choses dont ils seront capables.
Il est clair qu’il faut une concertation entre les DOM. C’est un Capes national, ce n’est pas un Capes régional. Par contre, cela a le mérite d’exister aujourd’hui. Faisons des propositions concrètes de façon à l’améliorer.

M. Crochet:
Il faut rendre hommage au travail fait par GEREC-F. Il y a eu un combat qui a été mené.

R. Nazaire:
Ils ont empêché mes étudiants de réussir au concours en les détournant de leur préparation par des manifestations devant l'IUFM.

M. Crochet:
Je regrette toute cette polémique. Mais vous ne pouvez pas nier que l'on a mis de côté le GEREC-F. Cette éviction entraîne donc logiquement de la suspicion sur la suite du concours.

R. Nazaire:
Vous prenez vos responsabilités en disant cela. Moi, je suis allé à Tours voir comment se déroulait. le concours. Je connais les personnes dont vous faîtes l'éloge. Ils ont une manière dictatoriale d'imposer le créole. On n'impose pas à un peuple ce qu'il doit faire!

M. Crochet:
Je maintiens qu’il y a eu éviction. Juste avant la création de ce Capes, tout le monde disait qu’on n’était pas prêt. C’est profondément regrettable. C’est une manœuvre politicienne venant du ministère. Il faut se poser la question de l’avenir de ce concours. La bivalence pose problème. C’est un handicap car chaque étudiant doit préparer le créole en plus d’une autre matière qui peut être prépondérante dans l’obtention du Capes.

R. Nazaire:
Vous êtes d’accord pour dire qu’il s’est fait dans la précipitation. C’est devenu un monstre que l’on ne maîtrise pas, quelque chose qui ne ressemble à rien de ce qui existe en France

Propos recueillis par Xavier Ameilhaud

Ce qu'en pense le GEREC-F


Raphaël Confiant, directeur-adjoint du GEREC-F, nous donne ici son sentiment sur les propos de R. Nazaire:
«Les propos tenus à la Réunion par M. Robert Nazaire ne m'étonnent pas. Je vais essayer de rectifier les nombreuses allégations mensongères que comportent ses propos et d'abord dire que ce monsieur, en tant qu'instituteur, et donc enseignant du primaire, n'a rigoureusement aucun droit de coordonner la préparation au CAPES de créole lequel, comme chacun sait, est un concours visant à recruter des professeurs du secondaire. Je n'ai rien contre les instituteurs (mes deux parents étaient instituteurs) mais le GEREC-F dit qu'il s'agit de deux types d'enseignement complètement différents, qui demandent des connaissances et des stratégies pédagogiques très différentes. D'ailleurs, c'est bien simple, tous les coordonnateurs des autres CAPES préparés à l'IUFM (anglais, lettres modernes, espagnol etc…) sont soit des professeurs certifiés du secondaire soit des universitaires. Il n'y à que le créole à avoir comme coordonnateur un instituteur!!! En plus ce monsieur intervient dans la formation alors qu'il n'est pas certifié lui-même et fait même des visites d'inspection dans les classes des Capésiens stagiaires de 2è année!!!

«Mais je suis heureux que la vérité sorte enfin de la bouche de M. Nazaire: il dit clairement ce que le GEREC-F a toujours dit à savoir que les membres du jury qui ont corrigé les copies des candidats au CAPES de créole étaient incompétents. Aucun d'eux, assure-t-il, n'a jamais rédigé la moindre dissertation en créole et pourtant, ces messieurs-dames se sont crus autorisés à corriger des copies dans cette matière. Et c'est exactement la même chose pour l'épreuve de traduction créole-français! Cependant, là où M. Nazaire raconte n'importe quoi, c'est quand il déclare qu'il y a eu précipitation dans la création de ce CAPES et que personne n'y a réfléchi. Désolé: il existe depuis 7 ans, une Licence et une Maîtrise de créole à la Faculté des Lettres du campus de Schoelcher, filière où sont déjà passés plus de 300 étudiants, et dans leur formation, ils ont deux matières obligatoires: la Dissertation créole et la Traduction créole-français. Aucun étudiant ne peut réussir à ces diplômes s'il n'a pas pratiqué ces deux exercices. Donc oui, il existe bel et bien des gens compétents en Dissertation créole et en Traduction créole-français et ces gens-là enseignent depuis 7 ans dans le cadre de la Licence et de la Maîtrise de créole de l'UAG. Le scandale c'est qu'aucun membre du jury du premier CAPES de créole, les membres du GEREC-F ayant été écartés, n'avait jamais pratiqués ceux-ci. Ils ont donc eu le culot de noter et de juger des candidats qui avaient un an (pour les licenciés) et deux ans (pour les maîtrisiens) de pratique de la dissertation créole et de la traduction créole-français derrière eux. C'est le monde à l'envers, quoi!

«Quant à dire que le CAPES de créole a été octroyé pour des raisons électorales, à qui M. Nazaire fera-t-il croire cela? Tout le monde, à commencer par les RG, sait qu'aucun membre du GEREC-F n'est membre du Parti Socialiste français et que donc le PS n'avait aucun bénéfice électoral à créer ce CAPES pendant l'année des élections. En réalité, cela faisait 5 ans que le GEREC-F déposait des dossiers de demande de création de ce concours au Ministère sans succès. Nos dossiers étaient régulièrement bloqués par des amis, je suppose, de M. Robert Chaudenson lequel, au lendemain de la création du CAPES de créole, s'est fendu d'un grand article vengeur dans le quotidien « Libération » pour dénoncer cette création. Pendant 5 ans, le GEREC-F a tenu le même discours au Ministère: « Nous sommes Français? Fort bien! Puisque les Basques, les Bretons, les Corses, les Catalans, les Tahitiens, qui sont français comme nous, possèdent un CAPES dans leur langue, eh bien nous réclamons nous aussi un CAPES pour notre langue, le créole». Point barre. Nous n'avons demandé que la stricte application de la loi française et finalement, un homme intelligent et non sectaire, Jack Lang, a compris notre revendication et a créé le CAPES de créole.

«Pour finir, sur l'idée d'impréparation et de précipitation avancée mensongèrement par R. Nazaire, je dirai que le GEREC-F a publié 10 Guides de préparation au CAPES de créole aux éditions Ibis Rouge et que personnellement, j'ai ouvert un site gratuit de préparation au CAPES de créole (kapeskreyol.fr.st) grâce auquel une cinquantaine d'étudiants s'est entraînée six mois avant le concours. L'étudiante réunionnaise qui est sortie major du CAPES de créole a d'ailleurs avoué à ses camarades antillo-guyanais qu'elle avait fait sa préparation grâce à mon site-web car il n'existe pas de Licence de créole à l'Université de la Réunion. Et dernière contrevérité: les étudiants préparant le CAPES de créole l'an dernier n'ont jamais - je dis bien JAMAIS - organisé de manifs de protestation devant les locaux de l'IUFM-Martinique. Interrogez le directeur de cet établissement et vous verrez!»