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Saint-John Kauss et le surpluréalisme

Saint-John KAUSS

Saint-John KAUSS (de son vrai nom Dr John NELSON), né à Hinche (Haïti). Fils du Major Luc Nelson et de Mathilde Pierre-Antoine, née Daquin. Professeur, Neurobiologiste et Chercheur de formation. Il a publié plus d’une vingtaine de livres de poésie (et de Littérature moderne) dont: Chants d’homme pour les nuits d’ombre, poésie, Éditions Choucoune, Port-au-Prince, 1979; Autopsie du jour, poésie, Éditions Choucoune, Port-au-Prince, 1979; Ombres du Quercy, poésie , Montréal, 1981; Au filin des cœurs, poésie, Montréal, 1982; Pages fragiles, poésie, Éditions Humanitas, Montréal, 1991; Testamentaire, poésie, Humanitas, Montréal, 1993; Territoires, poésie, Humanitas, Montréal, 1995; Territoire de l’enfance, Humanitas, Montréal, 1996; Pour une nouvelle littérature: Le Manifeste du Surpluréalisme, essai, Éditions Présence, Montréal, 1998; Paroles d’homme libre, poésie, Humanitas, Montréal, 2005; Le manuscrit du dégel, poésie, Humanitas, Montréal, 2006; Hautes feuilles, poésie, Humanitas, Montréal, 2007; Poèmes exemplaires, Éditions Joseph Ouaknine, Montreuil (France), 2007; L’Archidoxe poétique, essai d’entretiens, Humanitas, Montréal, 2008; Florides, poésie, Éditions Conel, Laval (Québec), 2012; Déluges, poésie, Éditions Conel, Laval, 2013; Sans dieux et sans idoles, entretiens, Éditions Conel, Laval, 2013; La question d’Ayiti, essai d’Histoire, inédit; Cabinet de peintres, essai d’art plastique, inédit; Chansons de sang pour une suzeraine (Pendant que je vis - anthologie personnelle – Tome I), poésie complète, inédit; Territoires (Pendant que je vis - anthologie personnelle – Tome II), poésie complète, inédit; Caravanes  (Pendant que je vis - anthologie personnelle – Tome III), poésie complète, inédit; Nomades (Pendant que je vis - anthologie personnelle – Tome IV), poésie complète, inédit; Talismans  (Pendant que je vis - anthologie personnelle – Tome V), poésie complète, inédit; Poème du cri et un psaume aux parias, poésie (en collaboration), inédit; Pile ou face, poésie, inédit;  Vertiges ou le règne animal, poésie, inédit; Au cœur des ombres, poésie, inédit; Verset des îles, poésie, inédit; De la poésie et quelques poètes, cursive-critique, inédit; Discours sur le déni et la négation socio-politico-religieuse dans l’œuvre de Christophe Philippe Charles, essai-critique, inédit; Sans Frankétienne – L’hégémonie des mots dans la dérive des continents et des pages folles, essai-critique, inédit; Le désespoir insulaire chez René Philoctète, essai-critique, inédit; Poésie Haïtienne du XXe siècle, essai d’Anthologie, inédit; Dictionnaire de poésie moderne, essai d’Anthologie, inédit; Domaj, poésie en créole, inédit; Épaves d’une île et des eaux, poésie, inédit; Considérations sur le fait poétique, essai, inédit; Le peuple des ombres, roman, inédit; Haïti en femenino, (veintidòs voces), Éd. Cuadernos de Literatura del Caribe e Hispanoamérica, no 18, juillet-décembre 2013, 50 pages.

Il est co-fondateur, avec Alix Damour, de l’École littéraire baptisée Le Surpluréalisme.

Mes dits manichéens

à Esther E.

                     «J’ai dépassé le lieu de moi-même le lieu d’être moi.»
                                                                                           (Aragon)
 
 
(…)
avant il y avait les mots égarés dans la bibliothèque le bonheur d’être frère
et la gloire d’élire une patrie
 
avant il y avait les fiancés et le train qui part la grandeur d’être poète
et la rage de bâtir un pays
 
avant il y avait l’amitié et l’enfance la chance de rêver
et les rumeurs de mille magies
 
avant il y avait le bruit d’ailes de l’oiseau les jeux de ruelle
et la bonne garde du voisin
 
avant il y avait les fleurs cueillies pour une fille le bonheur d’être aimé
et le quartier qui s’endort
 
avant il y avait les tourterelles les puits à eau les contes de fées
et les anciennes querelles
 
avant il y avait les chrysanthèmes du mois d’août les amours de nylon
et les songeries de jeunesse
 
avant il y avait les cerfs-volants de l’été les réjouissants qui font carême
et les badauds qui trichent aux cartes
avant il y avait les demoiselles qui gardent souvenance de quelques lointains baisers les maudits voyeurs
et les petits écoliers qui prennent la route
 
mais avant il y avait la chaleur de l’entente l’humidité recueillie du silence et les mystères de la ville qui déplaisent

(…)                              
si tu me parles de cette longue histoire qu’est la nôtre
de la ville et ses quartiers ses bidonvilles célèbres et ses putains
si tu me parles de ce poète qui passe avec un tambour sous les bras
de la ville et ses fantômes humains ses enfants abandonnés et ses mendiants
de rue
si tu me parles de cette violence organisée par ce prêtre fou et  prédateur
des ténèbres
de la ville et ses fatras de chimères ses assassins et ses métèques de province
si tu me parles de ces longues et petites histoires de quartier de ces filles
de canton
de la ville qu’on prend d’assaut et de ces jeunes étudiantes amantes des mots de leur drame
si tu me parles de ces appels sans réponse à la paix de ce professeur célèbre qui part du comté
de la ville et ses remblais de vieillard ses condamnés ses  révoltés
si tu me parles de ce silence de mort après le coup d’État de ces oiseaux déplumés par la peur
de la ville qui pleure à genoux de ses tragédies et de ses amours
si tu me parles de ces acteurs et comédiens qui font la fête de la joie désirée qu’on emprunte
de la ville à grand pas qui doit recommencer à vivre de ses douleurs et de ses peines
si tu me parles de Port-au-Prince et ses prisons qui donnent un sens au jour déshonoré
de cette ville et ses buveurs de Rhum ses  argentiers et ses contrebandiers
à  la pelle
si tu me parles de la traîtrise d’avoir faim comme les Cubains
de cette ville qui se défait dans la balance et dans ses plaintes profondes
si tu me parles de l’incomparable refus d’avoir peur la nuit
de cette ville et ses histoires de sang ses carnavals et ses moments de carême
si tu me parles de ces minutes qui me torturent de mes déceptions au bord de la mer
de cette ville qui ne dit rien de son destin de ses passants et de ses adolescentes sans lendemain
si tu me parles de Port-au-Prince et ses tombes qui ont l’air défuntes
de cette ville qui fait semblant d’aimer où l’événement se tait fragmenté
si tu me parles de mon pays où tout n’est qu’encombrement dans la misère
et la folie des fleurs qui poussent à reculons

si tu me parles là où je dis LIBERTÉ jusqu’à l’éternuement

(…)

il n’y aura plus jamais de grandes fleurs dans les prés
ni les anémones ni les orchidées
il n’y aura plus jamais de bruits de plume et d’ailes dans les champs
ni l’accent du guerrier dans les jardins d’elfes
il n’y aura plus jamais de prévôts qui font mine de rien ni à se cacher
au détour d’un instant
il n’y aura plus jamais de poètes maudits sur les boulevards et si peu de mots
pour dire au fond leur douleur
il n’y aura plus jamais de chansons anodines ni de palais en ruines
dans nos habits empruntés
il n’y aura plus jamais de journaux condamnés ni de journalistes assassinés
parce qu’ils disaient la vie
il n’y aura plus jamais de vacances volées aux ortolans et aux papillons
parce qu’ils  jouaient aux dés
il n’y aura plus jamais de baisers capturés  dans l’accomplissement
et la certitude de nos premiers battements de cœur
il n’y aura plus jamais d’arcs-en-ciel  à tourner en rond et si peu
d’étoiles qui plient bagage
il n’y aura plus jamais d’orphelins et de pareils étonnements dans le partage jusqu’à l’affolement des syllabes au beau milieu des phrases
il n’y aura plus jamais de blessures à condamner après faillite des saisons
jusqu’à  l’accouchement des vivaces au mât de l’hiver
il n’y aura plus jamais d’approbation aux droits d’aînesse et de royaumes prodigues
comme ce qui furent ma jeunesse et ce passé de regrets
il n’y aura plus jamais d’apologues qui feignent d’ignorer ce que j’écris
et ce que dit le poème dans sa douleur
il n’y aura plus jamais assez de mots pour aimer
car toute syllabe a un songe
et tout  homme un monceau de terre ou une île sans rues à raconter

(…)
                                                           Repentigny, 10 septembre 2001

 

*

 Viré monté