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Robert Aldor Rohan

Emmanuel Richon

Robert Aldor Rohan

Œuvre restaurée, dans son cadre restauré.

Robert Aldor Rohan est né le 5 octobre 1852. Orphelin de mère à la naissance, il était fils de l’avoué Félix Aldor Rohan. Avec lui, c’est une véritable dynastie qui entre en politique. Son frère cadet, Virgile, son fils Arthur et son neveu par alliance, Edgar Laurent, furent tous maires de Port-Louis ou députés au Conseil du gouvernement.

Robert Aldor Rohan fut d’abord pharmacien, puis dentiste, professions qui lui garantirent un minimum d’indépendance financière, malgré le boycott des conservateurs nantis. Il entra très vite en politique et finalement, y consacra toute sa vie. Il siégea de nombreuses années au conseil municipal de Port-Louis et fut même un des édiles les plus en vue de la capitale.

Robert Aldor Rohan

Pendantif au bout du nouveau collier mairal.
Observez les deux mains serrées, symbole de fraternité.

D’allure chétive, il ne payait pas de mine, mais parvenait toujours à se faire entendre malgré tout, même au beau milieu d’une assemblée tumultueuse. Son calme et son sang-froid proverbiaux lui valurent même le surnom de “Robespierre”. Surmontant les interruptions de la foule et les moqueries de ses contradicteurs, imperturbable, il débitait ses propos sans que rien ne parvienne à altérer son discours.

municipalité de Port-Louis

Ancien bâtiment de la municipalité de Port-Louis à l'époque d'Aldor Rohan.

Il fut bientôt l’adjoint au mairat de Thomi Pitot, en 1896, 1897 et 1901, puis maire lui-même, de 1902 à 1904, avec Amédée Poupard pour adjoint. En 1910, à la veille de mourir, il fut à nouveau élu et nommé adjoint du nouveau maire, Armand Esnouf.

La carrière politique de Robert Aldor Rohan, débute de manière éphémère au sein du “Parti des Ouvriers” et est par la suite entièrement inscrite dans le sillage du Dr Eugène Laurent, véritable successeur du Dr O. Beaugeard, leader des démocrates et du parti d’Action libérale, fondé en 1907, marqué par la revendication en faveur d’un élargissement du système électif. Première véritable tentative de créer un mouvement politique ralliant l’ensemble des masses populaires, sans distinction d’origines. Parti auquel se joignit Manilall Doctor, avocat, envoyé par Karamchand Mohandas Gandhi, à la suite de sa courte visite de 1901 à Maurice.

Robert Aldor Rohan, suivant en cela le Dr. E. Laurent, en arriva à défier ouvertement les forces conservatrices qui s’opposaient à l’élargissement du suffrage électoral au plus grand nombre. Il témoigne en cela d’un net durcissement des relations entre la population de couleur et les oligarques Blancs, fiers de leur réussite sociale et parfois imprégnés de sentiments racistes.

Robert Aldor Rohan

Tableau avant restauration.

Il faut souligner qu’à cette époque, seulement deux pour cent de la population avait le droit de vote, ce qui assurait la plantocratie mauricienne de voir réélire ses édiles à tout coups.

Ce durcissement des relations, Robert Aldor Rohan l’éprouva de plein fouet, le racisme ne l’épargnant pas, il sut relever la tête et répondre. Ainsi en fut-il lors de la reprise des travaux parlementaires du 27 février 1896, au cours de laquelle Sir Henri Leclézio proposa de donner une réponse au discours inaugural du gouverneur. Robert Aldor Rohan déclara tout de go que ses mandants et lui-même voyaient au contraire sans regrets le gouverneur Jerningham s’éloigner de Maurice. “La grande majorité des Mauriciens désapprouvent sa politique. Il a fait renaître le préjugé de couleur.”

Interrompu par Edgar Antelme lui demandant des preuves de ce qu’il avançait, le Dr Rohan déclara que ce gouverneur avait refusé de nommer son frère adjoint maire en raison de la couleur de son épiderme, ce qui déclencha les applaudissements de l’assistance.

La polémique resurgit en 1911, lorsqu’après le décès de R. A. Rohan, il fut question de donner le nom de Decaen à une rue de Port-Louis, ce qui ne manqua pas de susciter une levée de boucliers parmi la population de couleur qui vit là une manière de provocation, Decaen, gouverneur sous Napoléon, étant notamment connu pour avoir rétabli légalement l’esclavage et avoir lancé une farouche répression du marronnage.

Robert Aldor Rohan

Dos du portrait avant restauration.

Le racisme au quotidien était à l’époque, une des dimensions de la vie sociale et politique. La presse des oligarques, largement financée par la sucrocratie, se faisait l’écho de ces sarcasmes pleins de sous-entendus. Etant issu par son père d’une vieille famille protestante française, la devise des Rohan avait été: “Roi ne suis, Prince ne daigne, Rohan suis”, ce que les journaux transformèrent avec malignité en “Blanc ne suis, Créole ne daigne, Mulâtre suis.” Depuis Rémy Ollier, qui vécut la même injure, l’invective méprisante n’avait en rien diminué.

La haine fut à son comble lors des élections de 1911, lorsque le parti d’Action libérale revendiqua la venue d’une commission d’enquête sur l’industrie sucrière. En effet, les planteurs de l’industrie sucrière réclamaient l’octroi d’un prêt financier de la métropole, destiné à restructurer leur secteur d’activité. Les oligarques, qui se souvenaient certainement de la commission d’enquête précédente et de l’action d’un von Plevitz, ne voulaient pas en entendre parler. De plus, l’Action libérale, consciente de l’extrême pauvreté dans laquelle se trouvaient nombre d’immigrants indiens, milita en faveur de l’arrêt de l’immigration. En effet, pour maintenir les salaires au plus bas, les patrons avaient abusé des facilités octroyées par les autorités britanniques, faisant venir de l’Inde un nombre pléthorique de travailleurs engagés, à seule fin de maintenir une main d’oeuvre à bon marché.

Robert Aldor Rohan

Dos du tableau après rejointoiement des déchirures et empiècements lacunaires

Manilall Doctor sut également arguer du fait que les petits planteurs indiens ne recevaient jamais une part équitable du sucre de leurs cannes, broyées par les usiniers blancs. Ces cannes n’étaient jamais pesées correctement.

La commission royale arriva à Maurice le 18 juin 1909. La tension devint extrême lors des élections de 1911, lorsque des rumeurs mal fondées évoquèrent la mort du Dr Eugène Laurent au cours d’un attentat dans les Plaines Willems. A Port-Louis, les partisans de l’Action libérale commencèrent à exercer des représailles, démolissant les maisons servant de siège aux deux journaux conservateurs de l’époque, le Radical et le Cernéen, puis se rendirent à la demeure de Victor Ducasse, devant laquelle ils furent accueillis à coups de fusil de chasse. Il y eut des tués et des blessés.

Le parti du Dr. Laurent ne parvint pas à ébranler la main-mise des oligarques sur les électeurs, les suffrages de 1911, pas plus que ceux de 1916 ne permirent à l’Action libérale de percer, la raison essentielle étant que la fameuse commission venue à Maurice, bien qu’arrêtant l’immigration indienne, n’élargit pas le cens de participation aux élections, de sorte que la montée des suffrages populaires ne put réellement se manifester qu’avec la percée du parti travailliste.

Robert Aldor Rohan

Tableau rentoilé et prêt à la réintégration dela couche picturale.

Aussi, la génération de Robert Aldor Rohan fut sacrifiée, la plupart des politiciens comme Eugène Laurent ou Manilall Doctor, obligés de quitter un pays condamné à l’immobilisme.

Port-Louis, quelques réalisations concrètes sont à mettre au crédit de Robert Aldor Rohan, la création du square Rémy Ollier à la Plaine Verte, le commencement des travaux en vue de l’installation de la lumière électrique dans les rues de la capitale. Il contribua à augmenter notablement les prérogatives du conseil municipal par l’ordonnance 23 de 1903. Le nombre de conseillers fut réduit de 18 à 12, trois pour chacun des quatre quartiers de la ville, mais leur pouvoir accru, par l’octroi à la ville de taxes conséquentes prélevées sur les habitations.

Rejointoiement des déchirures à l'acétate de polyvinyle.

Rejointoiement des déchirures, incrustation de pièces lacunaires.

  

Mise du tableau sous tension.(Gauche) Portrait tendu sur son châssis à la pince crocodile. (Droite)

Le Peintre

Louis Maurice Loumeau (1878-1945)

Robert Aldor Rohan

Signature du tableau, clairement visible M. Loumeau 1905.

Cet artiste est un parfait exemple de la situation sociale de ses collègues à son époque. Il illustre à merveille les difficultés rencontrées dans la création d’une œuvre au cours du temps, dans une île Maurice peu encline à permettre d’autre épanouissement artistique que celui lié à son théâtre ou son art lyrique, le seul à avoir réellement permis de “nourrir son homme”. On ne louera jamais assez l’institution théâtrale (Port-Louis d’abord, Rose-Hill ensuite), d’avoir offert pendant très longtemps la seule possibilité d’emploi à des artistes, musiciens ou peintres, d’exprimer leur talent.

Par ailleurs, cet éminent artiste, en tant que portraitiste, a pu témoigner des célébrités de son temps, seuls sujets de l’époque à-même de pouvoir remplir durablement un carnet de commandes.

Vivre de son art à Maurice est donc un problème qui ne date pas d’hier. Il fut le premier à avoir pu intégrer le théâtre de Port-Louis comme décorateur de théâtre et y excella longtemps, pour le bonheur des spectateurs. Tout comme lui, Gabriel Gillet devait profiter de cette aubaine, plus tard, Serge Constantin fera de même et c’est ainsi de véritables carrières qui purent permettre à ces authentiques artistes de vivre de leur art. Ils eurent de la chance, beaucoup n’eurent pas d’emploi dans leur domaine et durent se contenter de vivoter péniblement ou durent restreindre leur production picturale au peu de temps qu’un travail d’appoint devait leur laisser. Mais en va-t-il autrement aujourd’hui? Même si le métier d’enseignant d’arts plastiques est venu s’ajouter, les métiers de la publicité sont sûrement trop canalisés par l’argent pour laisser libre cours à une créativité en mal d’indépendance.

Louis Maurice Loumeau fut donc arpenteur, architecte et constructeur, tous métiers pour lesquels il excella et qui lui permirent de vivre dignement. Ses talents artistiques, certainement liés à son métier d’architecte où le dessin joue un grand rôle, étaient nombreux, en plus de décorateur, il sut être sculpteur autant que peintre.

Fils d’Henri Philibert Loumeau et de Lucie Guého, il naquit à Rose-Hill, ville culturelle par excellence, en novembre 1878 et ne fut baptisé à Beau-Bassin que le 5 avril 1879. C’est sous le mairat de Charles Edouard Thomi Pitot, qu’en 1899, il fut embauché comme conservateur du théâtre de Port-Louis. Ses relations avec le directeur de la troupe, Edouard Berger, eurent des hauts et des bas, ce dernier lui infligeant même une amende de 25 francs. Il se maria en 1900 et en décembre de la même année, c’est lui qui remporta le concours initié par la municipalité et relatif au portrait de la reine Victoria justement décédée cette année là.

De même, en septembre 1903 et après deux années de recherches, il se décida enfin à proposer une maquette de statue représentant le gouverneur Pope Hennessy. Ce dernier, d’origine irlandaise et catholique, ayant volontiers laissé le souvenir d’un homme ouvert et en partie réformiste. Celle-ci réalisée, fut d’abord érigée sur la place du théâtre, le 22 décembre 1908, avant d’être transférée à son emplacement actuel à la Place d’Armes.

Sur sa lancée, il exécuta par la suite la maquette d’un buste de Rémy Ollier, tribun populaire et célèbre, défenseur de la population de couleur, pour la réalisation duquel, en 1906, le conseil municipal vota en faveur d’une souscription publique de financement. La maquette se trouve toujours au théâtre de Port-Louis, mais dans un état qui nous fait espérer une restauration prochaine, quant à l’exemplaire en bronze, il trône désormais au jardin de la Compagnie.

A cette même date, il avait déjà réalisé un portrait “grandeur nature” de la Duchesse d’York, qui se trouve aujourd’hui dans la salle du trône à l’Hôtel du Gouvernement, hélas dans un état si désastreux que lors des cérémonies officielles, les employés du lieu se voient contraints à chaque réception, de placer quelques plantes vertes (de plus en plus volumineuses avec les années), cela à seule fin de “dissimuler la misère” et les dizaines de trous qui parsèment les œuvres.

Nous osons espérer que ces quelques lignes seront lues comme un appel pressant à seule fin de laisser les professionnels venir en aide à ces œuvres et leur apporter une pérennité qui, pour l’instant, leur fait défaut.

Revenons à L.M. Loumeau, il exécute également un portrait de Sir Charles Bruce pour les salons du Réduit à Moka et un autre de Monseigneur Collier pour ceux de l’évêché, ce dernier tableau considéré, aux dires des contemporains du prélat, comme tout à fait ressemblant.

Juste après les élections du 19 novembre 1906, il entreprit de brosser un portrait du Dr. Eugène Laurent, destiné à la galerie des Maires.

En 1907, fort de son expérience et de ses multiples réussites, il bénéficia d’un congé en Europe, durant lequel il se devait de copier 400 mètres carrés de décors dans les grands théâtres parisiens. En outre, il entendait compléter à Paris le buste de Rémy Ollier qui sera finalement dévoilé au jardin de la Compagnie le 21 novembre 1908.

De retour à Maurice, c’est le 18 juin 1909, que la fameuse commission Swettenham débarqua à Port-Louis au Chien de Plomb décoré par lui en la circonstance, d’un arc de triomphe.

Le 15 décembre 1911, malade, il doit démissionner de son poste de conservateur du théâtre et sera remplacé à partir de cette date, par Gabriel Gillet, autre peintre et caricaturiste de renom. Trop âgé pour participer à la grande guerre de 1914-1918, Loumeau se consacre alors à l’architecture et contribue à la construction de nombreux édifices curepipiens, cette ville étant alors en plein développement et tournée vers la modernité.

C’est ainsi lui qui conçut et assura la maîtrise d’œuvre du remarquable immeuble en pierre de taille situé au centre de Curepipe. Dominant la croisée, cet édifice conséquent abrita d’abord le célèbre magasin G. Guillemin et cie, suivi plus tard par le “club de Curepipe” et aujourd’hui “les arcades Curimjee”. Son talent d’architecte s’illustra derechef dans le projet de reconstruction du marché de Curepipe qu’il exécuta en 1917 pour le compte du board de la ville. Hélas, à la suite du cyclone Gervaise de 1975, ce superbe bâtiment perdit sa toiture et fut démoli puis remplacé par simple décision administrative d’une commission nommée par le gouvernement (la municipalité élue ayant été suspendue).

En 1917 également, il proposa un projet ambitieux de restructuration complète du marché de Port-Louis, mais le comité conjoint des travaux et des marchés de la municipalité rejeta l’idée.

Après la grande guerre de 14-18, Loumeau résolut de quitter Maurice pour se rendre en Afrique du Sud, pays qui l’adopta bien vite et où il continua à exercer son métier d’architecte. Il mourut au mois de novembre 1945 à Durban et fut inhumé le 20 novembre à Stellawood.

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