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Manifeste du Surpluréalisme

au poète Guy Maheux

Je voudrais visiter les nuages et saluer les pierres.
                                                         (Yuan Hongdao)

 

 

 

 

Saint-John Kauss

 

 

 

 

 

Jackson Ambroise. Source.

Jackson Ambroise

PREMIER MANIFESTE DU MOUVEMENT SURPLURÉALISTE1

Briser la crise de la littérature haïtienne par une critique vivante, consciente de la nécessité de poser de nouvelles questions à l'œuvre et re-créer dans et sur la réalité, cette écriture qui pose le double choix de l'esthétique et de l'engagement. Un tel projet bouscule l'insularité de notre littérature, sa sécheresse actuelle et vise de meilleurs lendemains à l'œuvre et aux réalités qui lui donnent vie. Pour le réaliser, il nous faut éclairer les autres écoles haïtiennes et étrangères, celles qui directement et indirectement peuplent nos romans, poésies, nouvelles, pièces de théâtre, etc., de leurs thèmes. Et, inscrire le geste dans une réalité de production d'œuvres fortes. Le temps n'est pas à la culture des traditions mais à un questionnement permanent marqué par la mouvance des choses, naissant d'elle et la faisant naître de lui. C'est là le lieu de cette nouvelle école littéraire: le SURPLURÉALISME.

LE SURPLURÉALISME?

École littéraire qui veut enfanter une nouvelle écriture, un nouveau langage après une longue traversée de quatre continents de la création: spiralisme, pluréalisme, surréalisme, réalisme merveilleux.

SPIRALISME

La tentative? Et sa conclusion? Briser la spirale et l'intégrer dans un espace ouvert formé de cordons. Palpiter dans le monde en déspiralisant l'écriture. D'où, brisure des spires. Ce qui permet au lecteur-récepteur (non-spectateur du développement de l'œuvre) de pénétrer la chose écrite. Les spires parcellisées se transmuent en des milliards de petits cordons qui s'autogèrent en se solidarisant pour la structuration d'un long cordon aux vibrations multiples. Tout dépend de l'intensité et de la dimension de la souffrance de l'écrivain, le cordon avec son amplitude prend l'allure d'un sinusoïde autant dire d'une vague marine pour transmettre face à un référentiel spécifique tel ou tel type d'oscillations. À ce niveau, l'écriture ondulée forme l'ossature du langage. Langage de marée haute et de marée basse. Mouvement du langage.

PLURÉALISME

Intégrer tous les arts dans l'écriture. Ne plus la borner au littéraire. Le surpluréalisme se veut réalisation de la totalité de l'art. L'œuvre surpluréaliste est polie telle sculpture, travaillée. De là, la traditionnelle segmentation de la création est mise en cause dans une communication directe entre auteur et lecteur (producteur d'informations-consommateur d'informations). Ici, l'écrivain n'impose pas un discours, ni un lieu. Chacun peut creuser et forer le terrain à coups de pioche pour édifier des citadelles d'images sur le soc même de la désespérance.

SURRÉALISME

Expansion totale de l'inconscient et de la progression de la prise de conscience de et dans l'œuvre. De cette définition du surréalisme: rencontre d'un parapluie et d'un dé à coudre, le surpluréalisme part pour prendre en charge tout hasard et maronner toute tentative à mettre la création littéraire en otage. L'œuvre doit porter la pleine moisson d'espoirs neufs et se méfier des habituels créneaux de la littérature. Le surpluréalisme rencontre le surréalisme à ce carrefour de la parole onctueuse et s'en sépare au lieu même où il tente de le traîner vers l'irréel.

RÉALISME MERVEILLEUX

Le réel sous toutes ses formes. Polythématique, polyformelle, l'écriture surpluréaliste est quête d'universalisme au coeur de la multidimensionnalité. Association d'images qui traduit le merveilleux de notre réalisme. L'œuvre surpluréaliste éclate en tout lieu comme un écho sonore dans un ciel de vacances. Foisonnante sensibilité dans l'univers positif des images et expression des fréquences modulées de la douleur. Pourquoi importer des signes qui ne disent pas crues nos misères, nos déchéances et nos vicissitudes dans un temps lourd de toute la grandeur de nos désirs et la beauté de notre espérance?

Nouveauté et fraîcheur au niveau de tous les genres: roman, poésie, théâtre, etc. L'écriture de la liberté dynamise chaque être pour le porter à participer et créer. Désormais, la parole tourne autour de la solidarité en marche. Lutte contre la paranoïa et les fantasmes. Cathédrale d'images aux pôles des arcs-en-ciel. Parole survie face à la violence et à la terreur dans le Dernier Monde. Le temps est à l'exploration des continents de lune pleine et jumelée. Structuration. Rythmique de mots neufs sur les parterres de l'émoi. Transcendance. Intensité. Parole-liberté. Parole totale. Témoin du vide des espaces et du mépris de la vie, la parole essentielle est surpluréaliste. Le créateur surpluréaliste s'engage totalement dans le dernier monde pour chanter son malheur d'être jeté tel un objet.

Le Surpluréalisme est un cheminement, un forage dans les régions de la survie. Refus absolu dans la transcendance du Verbe, ce courant littéraire s'accroche aux possibles de l'écriture dans la sphère sociale. Cette écriture s'intègre dans la mouvance de l'histoire qui se fait par l'être et avec l'être.

Dépassement et déplacement des coordonnées de la vie macabre sur plusieurs segments d'espaces, le langage surpluréaliste est à l'opposé du langage élitiste qui ne touche pas la masse. La structuration de l'œuvre surpluréaliste est complice de la multiple présence du spectateur (lecteur).

L'imbrication du rêve-réel et du réel-rêve conditionne la production. L'émerveillement participe au déroulement des phases du texte. Ce qui exige comme point de départ un travail de défrichage de l'écriture dans les contrées du sublime. Le surpluréalisme touche à l'universel parce que puisant sa source ici et là et par delà les frontières du sentir.

Le Surpluréalisme est l'écriture de l'interdépendance dans la quête permanente d'une parole-libération, libératrice d'hommes. Libération constructive au creuset des structures neuves du milieu.

Le Surpluréalisme, nouvelle surface littéraire, quintessence de plusieurs continents littéraires, est une voie par laquelle passeront les écrivains concrets des régions sous-développées et développées pour exprimer leur angoisse et leurs espoirs.

POUR UNE NOUVELLE LITTÉRATURE:

LE MANISFESTE DU SURPLURÉALISME

Le Surpluréalisme pose ouvertement la question brutale du langage. La problématique du langage permet de dévoiler les processus cachés de l'esprit au niveau d'un appel à la pensée. Si l'esprit humain, dans ses mouvements les plus intimes, continue à remplir sa fonction propre, il est conforme au bon sens de trouver des pôles d'analyse qui situent la faillite de plusieurs générations. Nous vivons, à travers toute l'histoire intellectuelle du monde, une situation sans issue. C'est ce qui tend à placer l'être de cette fin du vingtième siècle entre ciel et terre dans des embarras philosophiques. C'est un réel cheminement dans les ténèbres. Les hommes ne se souviennent plus, ne méditent plus. D'où l'absence de questionnement dans toutes les sociétés humaines. Le souvenir, la mémoire, la conscience, toutes ces modalités de la pensée ont perdu leur sens. Il n'est pas étonnant de constater que chaque homme de notre siècle vit dans un mirage étant donné son incapacité à poser les problèmes et à leur trouver des solutions.

D'un côté, l'on peut remarquer que les individus évoluant dans les civilisations essoufflées se trouvent prisonniers des tissus d'enchevêtrement. D'un autre côté, les jeunes sociétés, qui n'ont pas eu de tradition de pensée vigoureuse pouvant permettre aux individus d'opérer des mises en question, se battent contre la catastrophe pour la survie dans l'affirmation de l'identité culturelle de leur peuple. Ainsi, les temps se succèdent et chaque moment apporte sa finitude illusoire et l'être social bloqué participe, en dehors de toute conscience, au devenir éternel du monde. C'est ce qui nous pousse à croire qu'il y a un grand nombre d'hommes de notre planète qui ne font pas l'histoire. Ces hommes vivent avec les problèmes et tournent continuellement autour du pot. C'est le cercle magique de la stagnation de la pensée.

La réalité a-historique et historique tisse la trame existentielle de l'être du vingtième siècle. En principe, HEGEL avait raison quand il avançait que "la tâche de la conscience est de comprendre la manière pour l'homme de se réconcilier avec la réalité; sa fin réelle est d'être en paix avec le monde. L'ennui est que si la conscience est incapable d'apporter la paix et de produire la réconciliation, elle se trouve immédiatement dans son genre propre de guerre". L'homme qui vit concrètement dans l'espace social comprend et saisit conceptuellement la réalité historique et les événements qui ont fait du monde moderne ce qu'il est. Cette vérité est d'une pertinence concrète pour l'être engagé dans des processus de réflexion en dehors des passions de Bipèdes. Le paysage de pensée surpluréaliste montre l'ambiguïté existentielle à un moment où l'on vit le renversement entre l'expérience et la pensée.

Ceci compris, la construction d'un édifice conceptuel doit situer les perspectives afin que l'homme moderne sache au moins comment penser dans la trame ondulatoire du vécu, de l'expérience, de la quotidienneté, dans un espace social donné. Nous ne sommes pas dupes en posant l'équation des contraintes de tous ordres qui bloquent les perspectives de l'homme. Nous ne sommes pas pessimistes quand nous savons que nous vivons tous dans l'enfer des dépendances et des impérialismes. Nous ne sommes pas non plus optimistes en délimitant les continents de l'espoir pour la génération 2000. Au contraire, dans le cadre du Surpluréalisme, nous essayons de faire d'une manière lucide le constat de notre transcendance d'être dans l'espace social à l'ère de la survie. Nous vivons les cycles d'enfer.

Comment arriver à une réelle mise en forme de pensée dans le Tiers- Monde à un moment où l'impossible amenuise les chances d'une réflexion sur la réalité? Comment peut-on élaborer une philosophie du possible pour un espace social du quart monde en dehors de la sphère du réel? Comment peut-on formuler l'équation de l'œuvre sans passer par un type de langage axé sur des formes créatrices des schèmes structuraux propres à dynamiser l'univers de la parole et de l'action? Dans un contexte de lutte pour la survie, l'écrivain moderne ne peut trouver le lieu de l'imaginaire que dans le mouvement du texte.

L'espace textuel permet à l'écrivain de vivre la métamorphose de l'écriture et son devenir éternel. On l'aura compris quand chaque écrivain surpluréaliste ne cessera plus de regarder sauvagement l'intérieur de ses tripes pour s'élever à des niveaux créatifs qui tiennent compte de son malaise, de sa chute, de l'impossible issue et de l'immensité de la bêtise humaine. C'est évident que la grande solitude humaine, qui s'abat sur les tiers mondes à la veille du vingt et unième siècle, peut pousser plus d'un à la démence parce qu'incapable de saisir les symptômes de décadence de civilisations millénaires. Limité sur des périmètres politiques où il lui est impossible de fonctionner selon les normes classiques du Droit international, l'être social de notre fin de siècle accepte, dans le silence, son asservissement, en attendant sa disparition définitive dans l'espace social.

A dire vrai, nous vivons tous le dernier monde. Et face au malaise, personne ne saurait prédire dans l'univers surpluréaliste le choix final de l'histoire. Mais, un fait est certain, c'est que l'être humain hors de lui-même vit une impatience fiévreuse dans l'alternative de survie à côté des ordinateurs. Ce qui requiert du courage et de la maîtrise d'une réalité qui a pris des dimensions exceptionnelles à l'échelle planétaire.

En vérité, les temps sont difficiles pour tous ceux qui vivent dans le tiers-monde et le quart-monde ; on dirait parfois que la chance de l'être s'aligne sur un espoir de suicide face aux perplexités. Ce sentiment de la ruine qui mine l'homme de notre temps situe la déchéance de l'être. Sommes-nous en train de sombrer? Peut-on échapper au naufrage? Ces questions brillantes nous forcent à l'inquiétude. C'est GOETHE qui disait quelque part : "Pour moi, il ne saurait être question de bien finir". L'angoisse de l'infinitude, de l'inachèvement, le respect de l'impuissance chez nombre d'écrivains constituent les variantes du désespoir qui pousse les surpluréalistes vers une quête inachevée, une parole à définir dans les méandres de l'histoire.

Le Surpluréalisme, nouvelle parenthèse conceptuelle à un moment où chacun essaie de trouver désespérément une voie contre l'échec social, demeure une démarche permanente vers les avenues de la pensée et du surplus d'action.

Désormais, il ne s'agit pas pour l'homme de s'enfermer dans l'utopisme primaire et des théories abstraites qui ne soulèvent pas les diverses facettes du réel, il s'agira plutôt de vivre l'inhumaine condition de l'être dans la quête renouvelée. Survivre aux malheurs d'un siècle marqué par la violence, le désarroi, la folie des uns et des autres, l'Apartheid, la guerre, le colonialisme, le totalitarisme, le sous-développement, la malnutrition, l'analphabétisme, les coups d'État, le Goulag, l'anarchie, la militarisation de l'espace, la menace d'une troisième guerre mondiale, le fascisme, l'utopisme des grands et la misère des deux tiers de la population mondiale.

Porte ouverte sur le pacte social, le Surpluréalisme, mouvement littéraire et artistique, se situe à la limite d'une blessure, d'une déchirure sanguinolente. C'est l'affirmation du droit de chacun à l'existence suivant une trajectoire qui tient compte de son conditionnement dans le temps et dans l'espace. L'être, quel qu'il soit, a droit à la parole, au questionnement de toutes les valeurs. La réinvention d'un nouvel homme à l'intérieur des sociétés écartelées du Tiers-Monde devient l'urgence des urgences dans la mesure où l'on constate que toutes ces sociétés sont rongées du dedans, se désintègrent sous le fardeau des crises et des drames.

Les efforts de survie se constatent au coeur de l'Amérique Centrale, au Moyen-Orient et au niveau du Golfe. Entre les plans et programmes, les projets de société, les tentatives de toutes sortes des divers peuples, il n'y a que l'espace surpluréaliste qui permette à l'être humain de vivre son dépassement. Car, en dépit de tout, l'homme surpluréaliste est son propre dépassement. Son propre projet face au possible de l'échec social. L'être surpluréaliste est un être supraconscient qui refuse la déchéance, le cauchemar et le néant.

Le pacte de survie réside dans un refus, une négation face au surmatérialisme qui déferle sur le monde post-moderne. Il faut une réponse surpluréaliste qui confirme notre vigueur intellectuelle, notre refus de mourir.

De là, l'on déterminera à tous les niveaux de la réflexion les paramètres des crises pour mieux comprendre l'ébranlement des sociétés minées dans leurs structures et rapports. Car, à bien considérer, les multiples enchevêtrements que connaissent les sociétés humaines génèrent des compromis et des alliances suicidaires.

Il est évident que le temps et le langage se sont mués pour faire de l'homme ce qu'il est en cette fin du vingtième siècle. Quel que soit l'éclairage que nous devons faire sur l'éloquence de l'homme post-moderne, l'on se retrouvera au carrefour d'une série de paramètres symbolisant la complexification de la parole dans ses codes et ses schèmes. Les divers facteurs qui concourent à faire des êtres vivants les produits des structures sociales résident dans leur capacité à participer aux phénomènes d'expression. Et tant que la vie est vivable, il existera un langage qui stimulera l'éloquence de l'homme bien que son parcours soit marqué d'embûches de toutes sortes. De là, le langage ne représente rien d'autre que la relation vivante avec soi-même ou avec les autres, non comme instrument ni comme moyen, mais comme une manifestation, une révélation de l'être intime et du lieu psychique qui nous unit au monde et à nos semblables. C'est ce que traduit le langage surpluréaliste dans sa pluralité culturelle. Le surpluréaliste oscille entre le clos et l'ouvert pour la transcendance de l'être prisonnier des divers cycles d'enfer et permet de glisser des signes au sens jusqu'à l'ultime victoire contre l'aléatoire.

Chaque signe que produit l'être social s'articule dans les relations avec d'autres signes au niveau d'un contexte particulier qui tisse le schéma souterrain du langage en tant que jeu opératoire. C'est ce jeu opératoire qui équilibre le sol fondamental de la parole: syncrétisme de l'imaginaire et de la vie réelle. Le Surpluréalisme participe dès lors à un processus de signification où la création de nouvelles surfaces imaginaires, de nouvelles idées à partir de nouvelles substances, est générée dans un processus de réhabilitation des formes et des pensées.

D'où l'avantage de la relation entre les signes sur la substance. Toute l'ossature du langage surpluréaliste prend naissance dans ce jeu opératoire qui permet l'élaboration d'une philosophie du possible. De là, la reconstruction du langage ne saurait se faire d'une manière intuitive; il est nécessaire de passer par des phases d'analyse pour des mises en perspective de synthèses. Sans quoi, il nous serait difficile d'arriver à la dynamique de la parole. La pensée se trouverait toujours distante de l'expérience, du vécu, de la quotidienneté.

L'on ne peut pas sous-estimer les rapports du langage avec la réalité vivante. Le contexte dans lequel évolue le langage surpluréaliste est un repère déterminant pour l'élaboration du sens. Le langage naît dans un milieu social où se tissent les multiples expériences. Aussi la pensée ne peut-elle naître que d'événements dans des situations conflictuelles. Ainsi, le vécu de l'être est inséparable du contexte dans lequel il accepte son cheminement, sa trajectoire dans le temps.

De cet ensemble de considérations, l'on retiendra que le Surpluréalisme, au-delà des données spiralistes, participe au processus de l'ébranlement des données traditionnelles où le cogito joue un rôle fondamental dans la mise en forme du discours rationnel. L'on comprend le procès que tente le surpluréalisme dans le champ ouvert de la linguistique et de la sémiotique afin d'aboutir aux formes nouvelles du dire. Le discours surpluréaliste vise le dévoilement de l'être et du réel, leur questionnement pour l'élaboration d'autres concepts régulateurs.

Pères du Surpluréalisme, nous croyons que l'avenir de l'homme ne cessera de nous intéresser aussi bien que l'avenir de la pensée pure. Il reste que le surréalisme d'André BRETON, mouvement littéraire d'importance du XXe siècle, ne cesse de marquer notre façon de penser et même notre mode de vie. Le réalisme merveilleux que nous retrouvons dans les œuvres de Jacques Stéphen ALEXIS et de Pierre CLITANDRE sollicite l'attention de l'écrivain moderne. Le Pluréalisme de Gérard DOUGÉ et le Spiralisme de FRANKÉTIENNE représentent des continents littéraires qui ont prouvé la grande force d'imagination et la puissance de conception de théoriciens valables.

Ces paysages de pensée renferment bien des richesses surprenantes pouvant servir de bases de recherche à la démarche surpluréaliste. Le Surpluréalisme en somme est une démarche, une ouverture sur des quêtes de la pensée ayant pour origine la réalité vivante. Ce n'est pas un objectif. Il est nécessaire aux artistes et écrivains surpluréalistes d'opérer dans et sur le réel, la quotidienneté afin que, dans les enchevêtrements du savoir, chacun puisse trouver l'essence des êtres et des choses.

Notre peuple est riche d'émotions, de merveilleux antillais, d'épopées, d'histoires et de chansons qu'on peut comprendre et intégrer dans la mémoire populaire sans exaltation folklorique. Les surpluréalistes veulent garder l'esprit des traditions nationales pour la sauvegarde de leurs œuvres. Chaque créateur surpluréaliste doit projeter dans et sur son espace social: élément structurel du creuset antillais et tiers-mondiste, toutes les ressources de l'humain à travers une nouvelle écriture traduisant le ferment de la vie. Car l'homme doit être le créateur de l'homme. Et dans le Surpluréalisme, il y a cette passion de voir l'homme se dépasser, disait René PASSERON. Tout par et pour un plus être: Concept de Base du Surpluréalisme. Alors, le Surpluréalisme est un laboratoire, un champ d'opérations complexes. C'est une machine d'idées neuves et fécondes, de concepts et d'hypothèses de travail. Il n'y a rien de figé. C'est ainsi que dans les circonvolutions de ce mouvement dans les labyrinthes du réel, le surpluréaliste: Être en devenir dans la trajectoire éternelle du monde, réalise ses métamorphoses dans le temps et dans l'espace. Il y a cette continuité dans l'être qui se projette dans l'espace afin de conquérir, d'incarner ce nous-mêmes. Grâce à l'autobiographie dans la création, toutes les phases opératoires du Surpluréalisme sont des recoupements du vécu de l'être en situation. Car l'essentiel, c'est de rejoindre la source des choses dans la quête permanente de l'homme vertical qui ne sera, en fin de compte, d'aucun pays dans la civilisation de l'univers et dans l'univers humain, mais tenant compte des spécificités, des différences et des diversités au niveau du langage. Bref, le Surpluréalisme reconnaît que l'enfer c'est nous-mêmes. En effet, au fond de toutes les vies humaines, l'on dénote cette possibilité-impossibilité, cette absurdité et cette froide logique, cette obscurité dense et cette lumière étincelante. Disons, cette duplicité cachée. Quel dualisme existentiel?

C'est par ce constat que le Surpluréalisme réalise le trajet de son action, le déploiement de la pensée et le déplacement des réels tout en se méfiant du raidissement logique caractérisant le surmatérialisme de notre siècle. Comme disait Maurice BLANCHOT, "Il faut être le dos au mur pour commencer à parler avec quelqu'un". En d'autres mots la logique, la raison raisonnante, le cogito cartésien a beau être solide comme un roc, tout cela ne saurait tenir face à la possibilité pour l'être surpluréaliste de rester HUMAIN autant dire de survivre. L'homme n'est pas une machine comme disent les imbéciles de notre temps, l'homme est perplexité au prisme de la création continue. L'humanisme post-moderne doit fournir des relents d'Espoir aux générations à venir et surtout à la génération 2000.

C'est ce que comprend l'écrivain surpluréaliste qui recherche toutes les parts de la pensée en vue de donner un sens au désespoir, au réel et à l'angoisse. La responsabilité du créateur surpluréaliste réside dans le déchiffrement de l'être à la recherche des possibles. L'homme demeure une réserve de choix. Choix qui déterminent d'une manière ou d'une autre le profil de son devenir dans et sur l'espace social. Il y a cette obscure exigence qui pousse l'écrivain vers des choix d'écriture pouvant traduire les multiples circonvolutions du moment. La quête de soi-même au niveau de l'œuvre est l'une des tâches les plus ardues pour l'écrivain surpluréaliste pris dans les engrenages d'une parole littéraire empreinte d'ambiguïtés des vies humaines et tissée de déchets de tristesse.

Le Surpluréalisme, en traçant des cheminements difficiles et suicidaires, n'est rien d'autre que l'itinéraire de l'existentialisme dans ses démarches spécifiques et ses rapports situationnels débouchant tantôt sur le doute et le choix, tantôt sur le silence et l'effroi face au panorama de l'horreur. Certes, la bombe nucléaire, le génocide du Cambodge, la faim en Ouganda, en Inde et dans d'autres régions du monde, les massacres de Sabra et de Chatila, le Terrorisme, la guerre Irako-Iranienne, la situation explosive, les tragédies du Mexique et de la Colombie en Amérique latine, ont créé chez le surpluréaliste l'obsession de la mort. Et l'on peut même parler d'une phénoménalité de la mort dans ce monde où la haine et le désespoir gagnent de plus en plus du terrain.

Ceux qui ont le sens de la réalité se rendent compte que les choses ne devraient pas être ce qu'elles sont. Tout ceci pour dire que le Surpluréalisme, affrontant la mort dans la solitude, tient à avancer sur la corde raide et sur les dents d'un rasoir par la création d'œuvres souveraines ayant des surgeons vivaces. C'est seulement dans cette impasse difficile qu'une nouvelle littérature peut naître afin de rénover nos traditions littéraires.

Car l'écriture existentielle n'est que l'approbation de la parole. Jusque dans la mort. C'est dans cette vision sombre de la mort que l'écrivain surpluréaliste évolue puisque l'expérience artistique devient interrogatoire de la vie par sa propre perspective de mort, par sa propre idée de disparaître, de mourir à un moment donné. C'est pour la première fois, depuis des siècles, que l'écrivain est confronté à ce phénomène de la mort possible dans le fait d'écrire. C'est un aspect de la perspective surpluréaliste qui peut faire l'objet d'études approfondies, de recherches sérieuses. D'où le Surpluréalisme est un forage et un lieu par lequel doit passer l'écrivain moderne pour exprimer sa déroute, sa chute et ses angoisses. L'on comprend que le Surpluréalisme, mouvement littéraire et philosophique existentiel dans le Tiers-Monde, est une mosaïque d'idées dans l'espace de cette fin de siècle.

L'œuvre surpluréaliste doit faire souche poursuivant sa germination labyrinthique comme un polypier qui n'a pas fini de se multiplier. Cette œuvre dense et volumineuse évoluera en tant que fait dans un contexte politique ballotté entre l'inertie d'une sous-population et la mobilité d'une surpopulation. Entre ces deux extrêmes qui s'opposent au sein même de la société dualiste, on a la conscience qu'il y a une catégorie de sous-hommes par leur passivité et leur zombification qui ne tissent pas la trame de l'histoire. Ne participant pas au changement d'autres secteurs de la société.

C'est à partir de ce constat macabre que le Surpluréalisme doit démontrer l'impossibilité pour cette catégorie de sous-hommes de s'insérer dans le cycle de l'histoire. Il y a des hommes qui font l'histoire et tiennent à mourir debout. Comme il y a des sous-hommes qui ne le font pas et resteront toujours passifs face à la complexification de l'intelligence. C'est là que l'artiste, le doctrinaire, le penseur, l'écrivain, l'homme de théâtre, le journaliste ou le philosophe peut se rendre compte des perplexités de l'existence. Pour s'élever, autant dire, assumer courageusement son être d'homme, face à un monde d'espérance et de désillusion.

Alors qu'est-ce que le Surpluréalisme? La réponse réside dans les interrogations qui peuplent la réflexion des libres penseurs. Si la liberté est liée au possible, cette liberté pour les surpluréalistes porte sur l'extrême capacité du pouvoir humain.

L'histoire des Religions nous rappelle que les cultures sont mortelles. Du simple point de vue des matériaux et des implications. La littérature haïtienne ou tiers-mondiste montre un certain échec dû à ces deux modalités interdépendantes: La notion de spécificité et l'inefficience de la critique traditionnelle. Les littératures autochtones ont subi, elles aussi, la colonisation en copiant parfois béatement les modèles culturels et idéologiques occidentaux.

Cela implique donc que les colonisés ou les post-colonisés ruminaient la solution et les schémas suscités à titre de valeurs et modèles propres. L'élite même du Tiers-Monde allait par la suite se diviser en deux: il y a, d'une part, ceux qui manifestaient une fidélité fanatique envers l'ensemble des prototypes occidentaux afin d'interpréter ou résoudre leurs moindres problèmes. Pour eux, il ne s'agissait pas seulement d'assimiler les sciences et les mœurs, mais aussi d'adopter, d'imposer le style de vie et de pensée de l'Occident. Cette foi totalement symptomatique en l'infaillibilité de l'Occident a alimenté pourtant toutes sortes d'aberrations et d'échecs. Le second groupe, appartenant plutôt au courant des intellectuels qui avaient opté pour un nationalisme jusqu'à la moelle, ne partageait pas cette foi inébranlable. A l'intérieur de ces deux entités se plaçait un courant intermédiaire tour à tour nationaliste et blancophile. Sans doute, convient-il ici de nous arrêter un peu sur les motifs de ce parcours aux connotations exogènes.

Nous retiendrons pour notre part de cet imperturbable survol des littératures tiers-mondistes d'hier et d'aujourd'hui en enseignement d'une enrichissante validité que, depuis le premier jet, les écrivains et penseurs n'ont pas réussi à s'affranchir de l'influence occidentale, alors même qu'ils prétendaient rompre le plus radicalement avec elle. Au demeurant, on peut interpréter le problème culturel haïtien en particulier comme une incompatibilité foncière entre le fait social entravé par la structuration globale des données spécifiques qu'il faut déchiffrer comme les plus irréductibles facteurs de la phénoménologie nationale, et les philosophes, schémas, systèmes venus d'Occident.

A ce stade, le rôle véritable ou l'inefficience, somme toute compréhensible, de la critique traditionnelle rejoint notre approche fonctionnelle du fait social. La critique et l'histoire littéraires haïtiennes ont viscéralement mauvais ton. Elles sont bel et bien déficientes, accablées par tant d'impostures arbitraires. La subjectivité personnalisée et l'émulation à l'emporte-pièce sont deux plaies attachées depuis longtemps sur la peau du critique genre rétro. Dommage que tout cela repose sur un concentré de séquelles coloniales entretenues à dessein, plus exactement sur une endosmose conflictuelle, un concentré de discontinuités structurelles.

Parmi les éclairages que la critique traditionnelle s'est efforcée de ressasser à tout bout de champ, il y a ce qu'il convient d'appeler le "finish" de l'œuvre: omettre les correspondances évolutives, faire dépendre la thématique toute entière du déterminisme historique et aux registres imaginaires symboliques tout caractère relatif, tels sont quelques-uns des tabous surannés. Les comptes rendus de journaux qu'on a si souvent tendance à sous-estimer sont l'expression inhérente de cette tradition. D'autres clichés ont également déterminé et coloré l'inefficience de la critique traditionnelle.

En premier lieu, la suprématie de l'élitisme, c'est-à-dire de la domination réelle d'une culture par une autre, a permis d'appréhender de plus près l'alimentation qui s'exerce au sein de chacune d'elles. Par exemple, l'occultation de la culture vaudouesque ne se limite pas au seul domaine linguistique. Et dire qu'en matière de renouvellement civilisationnel et de développement, les potentialités refoulées de la culture populaire seraient déterminantes.

S'il y a chez nous une source du Surpluréalisme par excellence, c'est bien dans cette culture vaudouesque où s'originent la totalité de nos valeurs. En second lieu, l'analyste objectif de la critique traditionnelle doit tant soit peu l'assimiler à une étape peut-être véritable mais certainement restrictive et riche en leçons. Cette fois, à n'en pas douter, ce n'est pas du décorum mais du rapport de la thématique avec le fait social que doivent renchérir les concepteurs de la nouvelle critique haïtienne. En troisième lieu, l'évolution du Tiers-Monde a surgi elle aussi dans le même sens. Il n'est plus nécessaire de suivre les idéaux et systèmes occidentaux. Nous disons qu'à mettre l'accent sur l'illusion du "Je" et ses farces, on reste non pas dans une perspective libératrice mais dans un cadre étriqué à outrance ressassé. En préconisant le conformisme formel au sens classique du terme, les critiques traditionnels ironisent sur le blocage dont pâtissent à raison les images et les énoncés. II y a un danger aberrant dans la mise en œuvre d'une critique qui simule toute autocritique. Enfin le rythme de la critique traditionnelle est un superlatif dissolvant, un rythme où toute inspiration décapante est traduite en termes de formalisme. C'est un rythme où l'interprétation s'assortit d'une série d'apriorismes réductifs et réduisants.

Ainsi Jacques Stéphen Alexis et Frankétienne demeurent des auteurs réduits, classés à souhait; le meilleur exemple en est le sort fait à Léon Laleau , tous victimes d'autant de ratiocinations que de mystifications. Il faut dépasser la critique traditionnelle pour s'aérer et mieux respirer. Quant aux concepts d'art total, l'on doit faire remarquer que le surpluréalisme part d'une perspective réaliste. Aux courants antérieurs (surréalisme, dadaïsme, cubisme, réalisme merveilleux, éclectisme, pluréalisme, spiralisme), le Surpluréalisme oppose une approche critique opérationnelle, pas seulement ontologique mais aussi et surtout cosmogonique.

Le temps inscrit l'imaginaire dans le décor. Texte devenu contexte de son propre réel et où le lecteur comblé peut, au-delà de tout particularisme, s'enrichir. Car ce n'est pas assez de produire du sens, nous avons à interpréter et à transformer les énoncés que permettent les différents champs imaginaires. Rien à voir donc avec cet art indifférencié qui sert encore de panacée commode. L'art surpluréaliste est ce qu'il y a de plus dur tenant compte des vicissitudes historiques du Tiers-Monde en cette fin du vingtième siècle. Ni localisme provincial, ni Tiers-Mondisme prométhéen partant de l'Occident dépouillé, ni avant-gardisme frénétique fustigeant les traditions au nom des perspectives mirobolantes. Mais un construit foncièrement pragmatique attelé continuellement à la mémoire universelle et, par ricochet, au réel ambiant.

D'abord, il faut au-delà des divergences mener un combat pour l'authenticité et l'essentiel. Il ne s'agit plus pour le Tiers-Monde de suivre la voie tracée par les penseurs occidentaux. Les leçons à ce sujet ont démontré aux derniers sophistes que nous ne réussirons à surmonter nos difficultés, qu'à force d'exalter l'authenticité et l'essentiel de nous-mêmes, à les défendre, à les étendre incessamment. Il faudra, sur les vestiges des cathédrales enfouies, intégrer l'imaginaire au mot d'ordre; il faudra oser vénérer du contexte.

Le Surpluréalisme nous amène à penser l'art non sur un mode univoque mais plutôt multisignifiant. L'exaltation et la possession de l'identité et de l'authenticité impliquent un engagement qui s'harmonise en toute souveraineté avec les fondements de notre culture et les potentialités de l'interrogation scientifique. L'enrichissement culturel sous-tend la reconnaissance des valeurs populaires, leur exaltation constante et leur renouvellement.

Notre développement en dépend. Une étape essentielle: l'authenticité radicale. Ensuite, il y a le "Je" pluriel, donc universel et transcendant. C'est une manière appropriée d'investir la dynamique de la solidarité. Autrement dit: la survie de l'Haïtien découle de lui-même dans la mesure où il n'est de libération marquante que celle où chacun puise sa raison d'être, où chacun rappelle que son destin se situe sur des indices autant dire des points de repère d'ordre spatial. En ce sens le surpluréalisme, fort de tous les cris inouïs et enrichi de tous apports théoriques, permet une déconstruction dynamique des deux textes ( textes et contextes ). Au grand jeu de l'être-ensemble et de l'essentiel-toujours. C'est ce qui fait de lui une pensée irréductible, et c'est donc dans cette optique que le livre Pages blanches et un poème pris en otage d'Alix DAMOUR, paru un mois avant le manifeste du 12 avril 1980, représente ces rêves superposés à d'autres rêves et qui, se pliant à toutes les métamorphoses et alternatives, laissent voir les traces des rêves survivants sous la dernière résonance. Comme les Pages Fragiles (1991), Testamentaire (1993) et Territoires (1995) de Saint-John KAUSS qui sont un montage d'ensemble sur la façon d'interpréter le subconscient au seuil maximum d'intensité. On ne doit pas appréhender a priori le contexte de tout-texte. Nous savons hélas aujourd'hui où mène ce procédé. Cette remarque aussitôt en appelle une autre. Qu'est-ce qu'interroger? L'interrogation est cassure dans nos comportements collectifs.

D'une façon générale, elle est avant tout désacralisation, sens déchiffré et, du reste, se reconnaît d'abord à la quête du sens. Qu'elle instaure sans ambages dans le champ du sacré, de l'inné, de l'inconnaissable, du contenu dissimulé. Elle est impiété salvatrice, elle est d'emblée mise au monde comme le lieu abominable de l'autre qu'il faut rapprocher, comme la plus outrancière signification de soi dans sa temporalité et dans sa totalité.

Qui dit affirmation spécifique dit ressourcement, irrévérence, cette utilisation de tous les registres des associations psycholinguistiques, avec le présuppose qu'on pourra ainsi dépasser et désamorcer toute épistémologie des sciences humaines. II y a là également la part de l'universel. Le surpluréalisme n'est plus certainement à un stade de conceptualisation et de dynamisation.

L'Art est un mot d'ordre et le thème: l'ordre ou non de ce mot. Le fil conducteur, c'est la manière dont il apparaît comme la crise de possession de l'autre et du monde. Ainsi, chez les Amérindiens, loin de repousser l'association du Verbe et de l'Éros, ils la sacralisent. Nous retrouvons ici un aspect fondamental de ce que nous appelons: la surpluréalité des êtres et des choses. C'est dire qu'elle broie les interdits, permute les contenus, éclate les sens, confond l'imaginaire avec le connu de l'inconnu. C'est la même frénésie dans l'impossibilité d'être détruit des masses occultes, la même vraisemblance dans l'indétermination. Pour en donner quelques exemples expressifs, on peut prendre les rêves ou cauchemars ou le désir de plus en plus difficile à distribuer du plaisir.

La trame, qui est la torsion du contenu, nous semble que la condition première et indispensable de l'appréhension du fait social par un agent social lui-même requiert qu'il soit un sujet conscient. Nous pouvons résumer tout ceci en cette définition magistrale de Jean Paul Sartre: " L'homme n'est rien d'autre que son projet". Ce serait un non sens gratuit de concevoir ce projet au sens dogmatique, esthétisant et prométhéen de l'homme. Il implique au contraire que l'homme en éprouve le contenu en accord avec lui et le dépassant continuellement. Les apports du côté de la théorie de la communication, de la linguistique, de la sémiotique, de la psychanalyse freudienne et / ou lacanienne, de la sociologie empirique, ont abondé en ce sens. C'est dans la revalorisation des contenus et dans le ressourcement que réside à notre avis le surpluréel. Ce faisant, nous prônons que les valeurs populaires (vaudou, musique, traditions, langage en daki, etc) loin de s'opposer à l'évolution historique, la sacralisent au contraire. Au sens structuraliste, elles la tiennent pour irréversible.

L'art surpluréaliste trouvera sa manière impérieuse dans la mimésis, à condition de l'arracher à ses bourreaux, ceux-là mêmes qui, se trouvant investis des prémisses issues des formalismes, des barrages, des mythes, se soldent par une exclusion du donné et du pensé et, par là même, de l'authenticité. L'œuvre surpluréaliste est une œuvre d'incubation, de maturation lente à partir de recherches patientes. D'ailleurs, c'est une œuvre suicidaire qui part de la vision planétaire de l'écrivain. D'où le texte surpluréaliste qui est un texte opératoire sur lequel travaille l'écrivain en vue d'aboutir à l'art post-moderne. En guise d'exemple, l'on n'a qu'à se référer à Frankétienne, écrivain spiraliste, pour saisir en partie notre perspective du surpluréalisme au niveau de la structure du langage. Et aussi à Gérard Dougé dans sa quête sensuelle, absolue des images.

Comme l'a fait comprendre Frankétienne, l'auteur de Ultravocal, "la production littéraire ne vaut que par la lecture créatrice, celle qui a pour tâche d'agencer, à travers une relative ambiguïté, les divers éléments structuraux de l'ouvrage. Brassage des infinis matériaux du langage. Fonctionnement complexe, puisque même le silence fait partie de l'œuvre. Chacun des espaces blancs représente une porte ouverte, une rupture de séquence. Et le montage des différents segments du texte est laissé au choix du lecteur qui dispose alors d'une absolue liberté constructive face à l'éventail infini des combinaisons. L'œuvre équivaut alors à un pré-texte (à motivation plurielle) selon le cheminement de la lecture, selon la succession des paragraphes. Massif montagneux à plusieurs versants, la spirale constitue un ensemble spatio-temporel dont les éléments d'appartenance sont susceptibles de permutation, de translation, d'extrapolation. Plans mobiles. Axes variables. Rien n'est imposé au lecteur qui peut ainsi évoluer, dans l'espace du Livre, sans être contraint d'observer un itinéraire pré-établi. Dans un tel cas, la pagination ne sert que de système de repérage; elle ne définit pas l'ordre de la lecture. Le titre n'est qu'un indice problématique à résonances multiples. Et il est souhaitable que le nom de l'auteur figurant ordinairement sur la couverture, loin de se ramener à l'équivalent d'une étiquette de marchandise, se vide de son contenu mythique, se dépouille d'on ne sait quel hypothétique prestige, et cesse enfin d'être l'objet d'un certain fétichisme. L'œuvre n'appartient à personne; elle appartient à tout le monde: En somme, elle se présente comme un projet que tout un chacun exécutera, transformera, au cours des phases actives d'une lecture jamais la même. Le lecteur, investi autant que l'écrivain de la fonction créatrice, est désormais responsable du destin de l'écriture."

Roland Barthes faisait remarquer ceci: il y a eu une époque où l'écriture, étant la même pour tous, était accueillie par un consentement innocent. Tous les écrivains n'avaient alors qu'un souci: bien écrire, c'est-à-dire porter la langue commune à un plus haut degré de perfection ou d'accord avec ce qu'ils cherchaient à dire. Au fil du temps, il y a eu une autre approche de l'écriture. Chaque écrivain fait de l'écriture son problème et de ce problème l'objet d'une décision qu'il peut changer. Écrire sans "écriture", amener la littérature à ce point d'absence où elle disparaît, où nous n'avions plus à redouter ses secrets qui sont des mensonges, c'est là le degré zéro de l'écriture, la neutralité que tout écrivain recherche délibérément ou à son insu et qui conduit quelques-uns au silence.

En effet, l'expérience de la survie pour les surpluréalistes requiert, à côté du vide, du silence qui fait partie de l'œuvre, du désespoir, de l'angoisse sale qui obsède, sa part d'irréalité, de néant. Aussi l'écrivain surpluréaliste essaie de se soulever un peu plus au-dessus de lui-même afin de vivre l'illusion, la volupté, la félicité tout en faisant de la peur une fin, un univers clos, un substitut de l'espace. En un sens, la maîtrise de la peur en cette fin du vingtième siècle nous permet de vivre un surplus de nous-mêmes, un excédent d'être. Dans Ultravocal de Frankétienne, on a pu vivre l'idée du macabre, de la catastrophe au niveau d'une parole littéraire tissée de perplexité et d'étrangetés. L'acte littéraire est donc porteur de sens et nous pousse aujourd'hui à croire que le texte Ultravocal avait creusé dans la surface de la parole une verticale. Aussi l'on peut se rendre compte à l'analyse des séries de différenciation, de stratification et de confrontation qui se retrouvent dans l'univers souterrain du langage de l'écrivain moderne qu'est Frankétienne. Evidemment, il y a cette chaîne signifiante communicative au niveau de chaque séquence et le texte pose dans le réel haïtien tiers-mondiste, antillais. Le jeu opératoire des signes crée du sens et ce sens dit et communique du texte. Parle et représente cette action révolutionnaire que la signifiance opère à condition de trouver son équivalent sur la scène de la réalité sociale. Et la question faut-il brûler Frankétienne?

La réponse est non puisque cet écrivain a réussi à toucher aux tabous de la langue en redistribuant librement ses catégories grammaticales et en remaniant ses lois sémantiques. II faut dire avec Julia Kristeva que Frankétienne a touché aux tabous sociaux et historiques. Dans les différentes séquences de Ultravocal, il existe un discours qui rend compte du fonctionnement textuel. Ajoutons que le texte est une pratique complexe dont les graphes sont à saisir par une théorie de l'acte signifiant spécifique qui s'y joue à travers la langue. Et c'est uniquement dans cette mesure que la science du texte aura quelque chose à voir avec la description linguistique.

C'est à partir de là qu'on peut situer la philosophie du langage dont parle André Jacob. Car le défrichement du champ illimité de la sémantique générale a permis de libérer le langage, libération qui est le but suprême de la libération de soi. Le langage devient autocritique de la philosophie. Et la sémiotique a renouvelé largement la critique littéraire par son analyse structurale. Les notions de texte et de structure ont ouvert à la philosophie du langage à la fois une nouvelle manière de réfléchir sur l'homme et ses signes aussi bien qu'un regard critique qui pèse sur sa propre contenance. De plus, il faut signaler un éclatement du langage qui a accompagné une crise de civilisation portant une crise de la culture.

Après 50 années de politique mondiale, de diplomatie, de luttes politiques de toutes sortes, de sommets, de conférences, de discussions au niveau des organisations internationales, les leaders du monde et du tiers monde sont obligés d'admettre la faillite des idéologies et des doctrines. Le capitalisme gère le sous-développement. Le socialisme gère la misère et le goulag. Le socialisme non communiste de Mitterand a géré le chômage. Karl Marx doit être repensé. Jésus Christ devient le point de mire de l'Église des pauvres. La théologie de la libération, avec ses relents dits communistes, est mise en veilleuse et critiquée par le Pape Jean Paul II. La troisième voie entre le capitalisme et le socialisme débouche sur de nouvelles illusions et d'autres mythes trompeurs. Les masses populaires ne font plus confiance aux dirigeants politiques. Les leaders religieux ont pignon sur Rue. Mais le sandinisme et le khomeinisme ne pouvaient et ne peuvent, en aucun cas, représenter des voies de libération pour les autres peuples du monde. Il y a trop d'erreurs idéologiques au niveau du khomeinisme sanglant et primitif, trop de dictature au sein du sandinisme. Les trajectoires de l'histoire des relations internationales situent les carences de leadership mondial et de stratégies politiques. Les bouillonnements et les renversements géopolitiques et géostratégiques, après la deuxième guerre mondiale qui a fait environ 54 millions de morts, ont suscité des revirements spectaculaires dans l'histoire de la pensée politique. Depuis la défaite d'Hitler, les analystes politiques jettent un regard angoissé sur notre monde moderne pour conclure à I'irrationnalité de l'action politique. Le nazisme hitlérien a semé la panique dans le monde. Et c'est à partir du nazisme hitlérien qu'on peut situer les coordonnées du totalitarisme, de la dictature qui contrôle la totalité du respirable et de l'irrespirable, la globalité de la vie publique dans un espace-temps jusqu'à s'enfoncer dans les labyrinthes de la vie privée des gens. Qu'on n'oublie pas que la déchirure sanguinolente causée par l'Allemagne hitlérienne a désarticulé les données de la diplomatie. Les 54 millions d'hommes qui ont perdu leur vie à la suite de cette sale guerre de 1945. Les 6 millions de juifs massacrés avant les années cinquante sont des hypothèques lourdes de conséquences pour les générations du XXle siècle qui sont déjà les mémoires du XXe siècle. La décolonisation, dans ses trajets difficiles, nous renvoie le miroir renversé du colonialisme dans le Tiers-Monde latino-américain, africain et asiatique qui est encore en lutte pour une véritable indépendance. Car toute indépendance nationale sous-tend l'indépendance économique comme soubassement logique. Mais à côté de tout cela, la course aux armements nucléaires et spatiaux se poursuivait entre les deux supergrands de la planète. Reagan disposait de 26 milliards de dollars pour la guerre des Étoiles alors que près de 900 millions d'indigents, de pauvres absolus meurent encore de faim dans le monde. Mikhail Gorbatchev s'est vu acculé face aux perspectives de Ronald Reagan relatives à son projet d'initiative de défense stratégique. La militarisation de l'espace n'a pas été acceptée par la France de Mitterrand. Mais l'Europe prépare le projet Eurêka de militarisation spatiale. L'on ne peut pas prévoir d'une manière christique ce que sera le système des relations internationales dans les dix prochaines années étant donné les divergences existant entre les théories américaines, russes et asiatiques sur le plan militaire. La perspective d'une tripolarité entre les Etats-Unis, le Japon et la Chine se dessine. Mais, il ne faut pas sous-estimer cette possible tripolarité entre la Russie, la Chine et le Japon avant les 20 prochaines années. D'un autre côté, l'on ne saurait oublier les événements de mai 68 qui ont bouleversé la société capitaliste. Aussi, la guerre du Vietnam reste-t-elle un cauchemar permanent pour les jeunesses américaines et mondiales. L'après Indira Gandhi était assumé par son fils. L'héritier des Gandhi avait des responsabilités mondiales énormes quant à l'avenir du non alignement et de la démocratie au niveau de l'Océan Indien. Les grandes puissances peuvent-elles sauvegarder l'équilibre géostratégique de cette région explosive qu'est l'Inde? Le dictateur Ferdinand Marcos pouvait-il garder le pouvoir aux Philippines malgré ce vent houleux de contestation au sein de son régime? La veuve de Benigno Aquino, qu'on le veuille ou non, était le nouveau mythe après le brutal assassinat de son époux en 1983. La démocratie aux Philippines, perdra-t-elle ses droits face à l'arbitraire, la violence, l'arrogance, l'autoritarisme aveugle, héritage du dictateur Marcos? Le continent africain, pour sa part, connaît ses contraintes. Le racisme en Afrique du Sud peut-il vraiment disparaître: une situation intolérable pour des millions de noirs et qui fut tolérée par l'Occident Chrétien étant donné les enjeux économiques de taille. Aussi la question cruciale de la faim dans les 25 pays d'Afrique requiert une issue. Celle-ci ne dépend que des gouvernements africains qui doivent compter d'abord sur leurs propres forces. Il faut identifier les causes réelles de la famine en Afrique. II faut lutter contre la sécheresse et l'improductivité des terres. Bref, faire face à la tragédie africaine. D'ailleurs, l'Éthiopie se meurt. Le continent africain avec ses 30 millions de Km2 doit pouvoir nourrir sa population qui croit à un rythme vertigineux. La communauté internationale a des responsabilités dans le renouveau des structures économiques de l'Afrique. Aussi, l'Amérique centrale dysfonctionne depuis nombre d'années au sein du sous-continent latino-américain. Le Salvador, la Colombie, le Honduras, le Nicaragua, pour ne citer que ces pays, représentent à tous égards des cas complexes de désarticulation structurelle. La situation politique dans ces pays prouve que les données fondamentales de la démocratie pluraliste doivent être à l'ordre du jour. Ceci ne peut se réaliser qu'à partir d'un dialogue national entre les divers groupes d'intérêts en présence. Les tensions existant entre les Etats-Unis et Cuba peuvent s'expliquer à partir de la logique des rapports de dépendance entre pays du Nord et pays du Sud. Aussi l'on doit admettre que toute la région du Proche-Orient est encore troublée. Ainsi, n'est-il pas nécessaire de repenser les politiques désuètes afin de reformuler d'autres schèmes qui vont dans le sens des intérêts des masses populaires de la planète Terre.

  1. Ce manifeste a été publié dans Le Petit Samedi Soir en 1980 (no. 332, 11-18 avril 1980), dans Écriture Française dans le Monde (vol. 3, no. 1, 1981) et dans Prestige (vol. 1, no. 1, janvier-février 1994).


 

Viré monté