Paul Baudot, Oeuvres créoles,
Traduction et préface de M. Maurice Martin,
2e édition, Basse-Terre, 1935.
 

Coffea arabica
Caféier, Coffea arabica. Photo F.P.

Les deux cafiés

Gnon jou, dé pieds café contré dans grand chimin.
Malgré yo té parents, yo pas ba yo la main.
Gnone, tout jòne et sec, té né la Matinique;
Sans feuille et rabougri, li té malade, étique.
Dans toute branche à li, gnon sèpent plein vinin
Té ka tôtillé-li dans dés virés san fin.
L'aute pied café-a té né la Guadiloupe;
D'in joli zabouisseau li té tini la coupe !
Vè tant con gnon lèza, et di grains bien chagé,
Li té ka dit: «Guetté ! di ciel moin poutégè.»
Rouge con flamboyant, li té tini tète haute,
A fôce li té fiè pòté gnon bell récòte.

«Ah ! Ah ! vouément ! li dit : à l'aute cafié-là,
«Cé toué qui tout patout ka vanté toué con ça
«To ka founi café, toué tout sel, dans la Fouance,
«Quand to kallé, kallé toujou en décadence !
«Toutt vèmine et sèpents, et la rouille et pichons
«Vini zingoinné toué jisqu'au fin fond souchons !
«Ah ! to bien effronté prouclamé dans gazette
«Cé toué sel bon café qui ka batte cônette.
«Moin quimbé to jòdi; voyons qui bon réponse
«To ké vini ba moin ? sacré pitite à ronce ! ! !
«Tandis to n'en pé plis, to toujou à l’empouint
«To ka senti la mò; dimain to ké défint. »

L'aute cafié-là pouan : « Pas fâché toué con ça.
« Pou tout di vérité, à ça to ka dit là,
« Moin ké réponne toué : gnon bon la rinommée
« Vau bien mié cent fois que ceintu galonnée.
« Dans moune, cé con ça : chaquin ka fè gnon plan,
« Con zoua et con cana qui ka pouan plime à pan. »

Gnon conte en bon fouancé, cé gnon crac agréyabe.
Cilà moin ka conté positif, véritabe.
Moin ka cétifié-li pou sù et bien cètain,
Et pou mié pouvé-li, tini gnon bon témoin.

Gnon jou, mouché Roulin, toute moune connaîte,
A Paris té allé, pou fè gnon zemplette,
Et promné côp à li. Pou ça, li té pôté
Café de la Guadiloupe où li té ka rété.
Gnon machand parisien, flamban con zalimette,
Qui té ka vanté-li toute bitain connaîte,
Vini pou achité café, là ka Roulin.
Cila-là pouésenté, avè gnon l'ai malin.
Belle denrée à li. Au mot di Guadiloupe
Qui sôti bouche à li, machand-là, con gnon soupe,
Gonflé et fè gnon saut, en disant : « Ça pas bon !
« Cé mauvé qualité ; ça nouè tant con chabon !
« Café moin ka mandé, cé café Matinique. »

Mouché Roulin qui roué, qui pas ditout bourrique,
Réponne à machand-là li tini gnon gros lot
Bon café Matinique, au Rhave, dans dépôt.
Dé ou tois jous apoué, au pied li pouan la cousse
Pou li allé montré, dans gnon fiscale bousse,
Di même qualité gnon ti l'échantillon.
Aussitôt, machand-là, avè gnon fin lognon,
Apoué gnon vérifié, hélé : « Vouélà l'affè !
« Ah ! palé-moin di ça ! cé cilà ju pouéfè
« Que tous lé zautes cafés. » Li dit ça, çu soto,
Sans douté-li gnon bouin cété idem dito.
En Fouance et dans Paris, tout patout dans boutique,
Yo ka fè passé pou café Matinique
(Qui pas dans moune encô) café Guadiloupien
Qui sel ka validé et qui tout patout plein.

Un jour, deux pieds de café se rencontrèrent sur le grand chemin. Bien qu’ils furent parents, ils ne se donnèrent pas la main, l’un, tout jaune et sec, était né à la Martinique; sans feuilles et rabougri, il était malade, étique. Dans toutes ses branches, un serpent plein de venin s’entortillait dans les anneaux sans fin. L’autre pied de café était né à la Guadeloupe; d’un bel arbrisseau, il avait la coupe! Vert autant qu’un lézard et chargé de grains.


Il disait : «Vois, du ciel je suis protégé.» Rouge comme un flamboyant, il tenait la tête haute, tant il était fier de porter une belle récolte.

«Ah ! Ah ! Vraiment, dit-il à l’autre cafier, c’est toi qui, partout, te vante ainsi de fournir du café, à toi seul, à toute la France, quand tu t’en vas, t’en vas toujours en décadence! Toutes vermines et serpents, et la rouille et les pucerons viennent te sucer jusqu’au fin fond de tes souches! Ah ! tu es bien effronté de proclamer dans la gazette que tu es le seul bon café par dessus tous. Je te tiens aujourd’hui; voyons quelle bonne réponse tu me donneras? Sacrée petite ronce! ! ! Tandis que tu n’en peut plus, tu es toujours emprunté, tu sens la mort; demain tu seras défunt.»

L’autre cafier objecta : «Ne te fâches pas ainsi. Pour dire la vérité, à ce que tu dis, je te répondrai: une bonne renommée vaut mieux, cent fois, que ceinture galonnée. Dans le monde, c’est ainsi: chacun fait un plan, comme l’oie et le canard qui prennent la plume du paon.»

Un conte, en bon français, est un mensonge agréable celui que je viens de conter est positif, véritable. Je le certifie comme sûr et bien certain, et pour mieux le prouver, je cite un bon témoignage.

Un jour, M. Rollin, que tout le monde connaît, était allé à Paris pour faire des emplettes, et se promener. Pour cela, il avait apporté du café de la Guadeloupe où il demeurait. Un marchand parisien, flambant comme une allumette, qui se vantait de tout connaître, vint pour acheter du café chez M. Rollin. Celui-ci présenta, avec un air malin, sa belle denrée. Au mot de Guadeloupe qui sortit de sa bouche, le marchand, comme une soupe gonfla et fit un saut, en disant: «Ce n’est pas bon! C’est de mauvaise qualité; c’est noir comme du charbon! Le café que je demande, c’est le café Martinique.»

M. Rollin qui est roué, qui n’est pas du tout une bourrique, répondit au marchand qu’il avait un gros lot de bon café Martinique, au Havre, en dépôt. Deux ou trois jours après, il s’en alla vite, pour aller montrer, dans une bourse bien pleine, un petit échantillon de même qualité. Aussitôt, le marchand, avec un fin lorgnon, après vérification, cria: «Voilà l’affaire! Ah! Parlez-moi de cela! C ’est celui que je préfère à tous les autres cafés. » Il le dit, ce sot, Sans se douter un brin que c’était le même café. En France et à Paris, partout dans les boutiques, on fait passer pour café Martinique (Qui n’a pas encore vu le jour) le café Guadeloupéen qui seul est bon et qui se trouve partout.